16 novembre 2020
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Travail à distance : des freins humains et managériaux à lever
Le cabinet de conseil et formation Greenworking accompagne de grandes entreprises comme SANOFI, AXA ou Société générale sur les nouvelles organisations du travail. Cécilia Durieu, co-fondatrice, revient pour l’IFACI sur ces mois de confinement pendant lesquels le télétravail a connu une forte accélération et sur les changements durables qui pourraient en découler au sein des organisations.
Pourriez-vous nous présenter en quelques mots Greenworking ?
Cécilia Durieu : Greenworking est un cabinet de conseil et formation que nous avons fondé avec Olivier Brun il y a dix ans, d’abord sur la niche du télétravail. Nous avions tous les deux été auditeurs en inspection générale. Nous avions la conviction que le télétravail allait se développer, des études étant parues dans la presse sur le sujet. L’activité économique était très centralisée à Paris, mais de plus en plus de gens avaient envie d’aller habiter ailleurs qu’à Paris tout en continuant à travailler. Nous nous disions qu’il y aurait sans doute encore beaucoup de freins humains à lever. Nous avons lancé l’activité et accompagné déjà beaucoup d’entreprises. En 2013 nous avons créé une activité liée au Flex Office, les locaux, une fois le télétravail mis en place, n’étant plus forcément adaptés (plus assez d’espaces collaboratifs, d’espaces de réunion). Nous avons travaillé avec Sanofi, avec AXA GS, sur l’accompagnement du changement, et ensuite sur une soixantaine de projets. Puis nous avons développé la partie Qualité de vie au travail, avec la négociation d’accords, le développement d’un outil permettant de mesurer la QVT, le stress et même l’engagement, avec à la clé des formations sur ces sujets. Nous traitons aussi parmi nos activités la transformation managériale et le leadership, la RSE...
La crise du COVID a engendré une forme d’accélération du travail à distance...
C.D. : Il y avait déjà eu une première petite accélération quelques mois plus tôt, en Île-de-France, avec les grèves à la SNCF. Certaines entreprises se sont alors rendu compte que le télétravail pouvait avoir des vertus. Certains de nos clients nous ont même dit qu’ils avaient été « sauvés » parce qu’ils venaient de signer des accords suite aux grèves, juste avant le COVID, et avaient déjà équipé leurs collaborateurs.
Pensez-vous que cela va entraîner des changements durables ?
C.D. : Sans doute oui, mais peut-être pas autant que ce que l’on aurait pu imaginer juste avant le confinement. Aujourd’hui, parmi nos clients, ceux qui n’avaient pas d’accord sur le télétravail ont décidé d’en négocier, parce qu’ils savent qu’une majorité de leurs collaborateurs qui l’ont testé aimeraient pouvoir continuer. Et ils ont aussi pu constater qu’une bonne partie des freins managériaux avaient été levés : les performances ont été honorables, malgré la difficulté des conditions (les enfants au domicile, par exemple). Quant aux entreprises qui le pratiquaient déjà, elles vont à priori l’étendre à plus de salariés ou l’étendre en quotité télétravaillée : plus de jours par semaine. Mais nous mettons tout de même en garde nos clients : on ne peut pas tirer un bilan au bout de trois mois seulement. Les problèmes, s’il y a, notamment les risques psychosociaux, interviennent souvent plus tard.
Le point clé a été la levée de ces freins managériaux ?
C.D. : Oui, souvent les managers ont testé eux-mêmes le télétravail alors qu’ils n’étaient pas convaincus auparavant et ils se sont souvent rendu compte qu’ils étaient moins perturbés et arrivaient à avancer vite dans leur travail. Et que leurs équipes performaient bien également.
Quelles sont les incidences d’un recours plus important au télétravail sur les méthodes de management ?
C.D. : Il faut s’orienter plus vers un management par objectifs, regarder d’abord les livrables, ce qui est produit. Et ne pas s’intéresser uniquement aux horaires de la personne. Tout dépend aussi du nombre de jours télétravaillés. Plus on va vers du télétravail intensif plus il faut revoir en profondeur les process, la manière dont on communique, en se tournant plus vers l’écrit que l’oral.
En ce qui concerne l’audit et le travail à distance, quels sont les principaux points d’attention ?
C.D. : On parle beaucoup du non-verbal quand on parle de l’audit à distance. Le non-verbal est important et intéressant pour établir un lien avec l’audité. La visioconférence est donc clairement à privilégier, plutôt que le mail ou le téléphone. De ma propre expérience, même si elle est désormais un peu lointaine, je me souviens qu’il était parfois difficile de rédiger un rapport d’audit en open space, dans des conditions qui ne se prêtent pas toujours à la concentration. Là, en revanche, le télétravail peut vraiment soulager et permettre d’apporter la concentration nécessaire. Il faut en tous cas avoir une organisation qui est claire, partager les documents dans les règles. Mais il peut bien sûr y avoir des particularités en fonction des secteurs d’activité et tous ne s’y prêtent pas de la même façon.
Il faut aussi évidemment de bons outils pour assurer une bonne connexion et en parallèle une vraie sensibilisation à la sécurité informatique. Nous avons eu le cas de clients victimes de hacking. Lorsque l’on est en télétravail, loin du bureau, il y a le risque de prendre de mauvaises habitudes.
Sur le plan collectif, il faut savoir quels rituels adapter pour maintenir une cohésion d’équipe et un haut niveau de performance. Et sur le plan individuel, il faut savoir si le télétravail est fait pour soi-même ou si l’on a besoin de l’émulation de l’équipe dans un environnement professionnel. Savoir si l’on peut être autonome – même si c’est au manager de l’évaluer – parce qu’à distance il est moins facile d’appeler quelqu’un si l’on n’est pas trop sûr de soi. Et être vigilant quant aux risques psychosociaux, qui sont aussi plus difficiles à détecter à distance.
Enfin, l’image du télétravail a une importance et des répercussions sur la performance. Il faut que l’entreprise s’assure que le télétravail a une bonne image, y compris auprès des non-télétravailleurs. Et surtout, en cas de difficultés, ne pas hésiter à revenir en arrière si nécessaire.