15 février 2022

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Recrutement - « La nouvelle génération aura-t-elle autant envie d’avoir une telle fréquence de déplacement ? »

Fabien Valentin, SVP Internal Audit Group chez Accor

Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous conduit vous-même vers les métiers de laudit ?

Fabien Valentin : Je ne sais pas si jai un profil atypique, mais je ne suis pas un auditeur de formation. Cest la première fois que jassure cette fonction. Jai été audité plus souvent qu’à mon tour, avec parfois des scores qui aujourdhui me feraient bondir ! Joccupe ce poste depuis un peu plus de trois ans maintenant, et historiquement chez Accor, les profils à ce niveau de responsabilité sont plutôt des opérationnels, qui connaissent le métier, le groupe, lorganisation… Et qui apportent surtout en termes de valeur ajoutée justement cette connaissance. Avec évidemment un background financier. Je suis moi-même passé par des postes de direction financière, mais je nai en revanche jamais travaillé dans un cabinet daudit externe.

Javais fait le choix à lorigine de morienter vers les métiers de lhôtellerie et cest cette passion qui a servi de fil rouge dans ma carrière. Et cela fait maintenant 20 ans que je suis chez Accor. Jai donc été directeur financier, mais aussi responsable du juridique, des achats, de la construction… Mon dernier poste était opérationnel, puisque je dirigeais la région Allemagne-Autriche-Suisse. Un parcours dans le groupe qui, je pense, massure une certaine crédibilité aujourdhui dans mon rôle de responsable de laudit interne.

Après 8 ans en Europe centrale, jai souhaité évoluer au sein du groupe et lon ma parlé de cette opportunité. Jai beaucoup réfléchi parce quau départ, pour être honnête, je pensais plutôt poursuivre mon expérience internationale et javais une image de laudit liée à la finance, un secteur dans lequel javais déjà évolué par le passé. Mais en my intéressant, jai vu quil sagissait dune fonction différente de lidée que je men faisais, beaucoup plus variée et beaucoup plus riche. Il ne se passe pas un jour sans que je sois au contact dun membre du Comex ou avec un des administrateurs et que jaie loccasion de partager la vision des dirigeants de lentreprise, la stratégie du groupe, etc.

« Des profils très variés, avec une solide expérience de terrain »

En quelques mots, quelles sont les principales missions quexerce votre service  ?

F.V. : Nous faisons chez nous, comme dans beaucoup de services daudit interne, 4 types de missions. Des audits de conformité, standards je dirais, sur un siège ou un hôtel… Cela représentait il y a encore quelques temps 95% de nos missions.

Il y a également les audits thématiques, sur les risques dimage, de réputation, sur nos engagements publics sur la lutte contre le gaspillage alimentaire par exemple, la non-discrimination, les labels… En fait, vérifier que lon fait ce que lon dit. Il y a ensuite ce que nous appelons les « Forensics », les investigations sur les suspicions de fraude (fraude aux fournisseurs, faux changements de coordonnées bancaires…). Des sujets souvent complexes, faisant parfois appel à lintelligence artificielle, à des langues étrangères, etc. Nous en traitons une partie en interne et nous avons également des prestataires externes pour nous accompagner si nécessaire.

Et enfin, il y a les missions relevant de lexpertise technologique, menées avec l’équipe IT, sur les outils, les systèmes dinformation, mais aussi lors des projets dacquisition de start-ups.

Ce qui a changé, cest que cette année par exemple, 25 à 30% de nos missions ont concerné lIT, 25 à 30% la conformité et le corporate, et tout le reste étaient des audits thématiques. 

Avec une incidence sur le profil des auditeurs que vous souhaitiez recruter ?

F.V. : Au cours des dernières années, jai effectivement renforcé la partie IT. Pas pour la cybersécurité en tant que telle, qui nest pas dans mon périmètre, mais pour tout ce qui concerne les audits sur la résilience des outils, les organisations, le management des accès… Nous faisons parfois des audits mixtes, avec des équipes composées dun auditeur IT et dun autre plus centré sur les aspects économiques, par exemple lorsquil sagit de la rentabilité de tel ou tel outil.

Également, pour renforcer la crédibilité, nous avons aussi de plus en plus dauditeurs qui viennent du secteur hôtelier. Ils nont pas forcément fait des formations dans des écoles de commerce et ne sont pas passés par laudit externe, et sont plutôt issus d’écoles hôtelières. Écoles qui ont énormément progressé, en proposant un enseignement de très haut niveau en management notamment. Avec à la sortie des profils très variés, qui acquièrent ensuite une solide expérience de terrain, pendant plusieurs années. 

« Il faut toujours avoir une appétence pour les chiffres, pour la rigueur »

Cest une vraie valeur ajoutée ?

F.V. : Oui, bien sûr, parce quils connaissent les outils de réservation, par exemple, les questions liées à la gestion dun restaurant, au stock dun bar… Cela confère forcément une légitimité. Ce sont donc souvent des personnes qui sont sorties d’école hôtelière à 22-23 ans, qui ont ensuite travaillé sur le terrain et que nous recrutons vers 25-26 ans. La moyenne de l’équipe aujourdhui est entre 25 et 30 ans. Mais chez Accor, on nest pas non plus « auditeur à vie ». Cest plutôt vu chez nous comme un tremplin.

Avec la possibilité ensuite de repartir sur dautres types de postes opérationnels ?

F.V. : Oui, les auditeurs évoluent naturellement, tout en restant pour beaucoup au sein du groupe, en France ou à l’étranger. Certains partent vers des fonctions finance ou IT. Et il y en a à qui le terrain manque et qui veulent y retourner, même si ce nest pas la majorité.

Y-a-t-il aujourdhui encore une vraie appétence pour laudit traditionnel ?

F.V. : Il faut toujours tout de même avoir une appétence pour les chiffres, pour la rigueur, pour le contrôle et les process. Ce sont des profils différents de ceux qui se destineront à la communication ou au marketing. Lhôtellerie, ce nest évidemment pas la même chose que ce que lon peut connaître dans le secteur bancaire, mais nous sommes une profession tout de même très réglementée avec une vraie déontologie à observer.

Comment faire venir les profils dont vous avez besoin et les fidéliser, surtout lorsquils ne se destinaient pas forcément à une carrière dans laudit ?

F.V. : Déjà, ce que lon propose, cest une formation sur un poste qui va permettre davoir une vision sur lensemble des cycles du métier. On « vend » aussi du voyage, avec la possibilité daller auditer des hôtels et des sites que lon voit surtout dans les magazines. Et puis, laudit, cest aussi la possibilité de progresser dans le groupe, comme je le disais.

En ce qui concerne la « fidélisation », je ne vais pas les retenir au-delà du nécessaire. Dabord parce que cest ma philosophie personnelle en termes de management. En revanche, je vais être attentif à gérer les dates de départ dans l’équipe afin de ne pas me retrouver à un moment donné avec trop de juniors. Pour autant, je ne prétends pas quil faut impérativement passer au minimum 5 ans à laudit… Si quelquun a des velléités de partir après un certain temps, je peux tout à fait laider à trouver le poste qui lui conviendra.

« La génération qui arrive aura-t-elle autant envie

davoir une telle fréquence de déplacement ? »

Depuis le début de la crise du covid, avez-vous continué à faire des audits « physiques » ou uniquement à distance ?

F.V. : En 2020, nous ne nous sommes plus du tout déplacés à partir du mois de mars, mais dans certaines régions, nous avions déjà des auditeurs sur place qui ont pu auditer des hôtels. En revanche, nous navons pas fait un seul audit de siège jusqu’à la fin 2020. En 2021, nous avons refait un peu plus daudits dhôtels, notamment un peu partout en Europe, et nous avons recommencé à auditer des sièges. Mais nous avons encore dû repousser les audits qui étaient les plus compliqués en termes de déplacement, comme à Sydney ou à São Paulo, par exemple.

Même si lon peut faire certains audits à distance, nous préférons tout de même aller sur place, y compris pour une période courte. Ça reste beaucoup plus efficace, de lavis des auditeurs comme des audités. Il y a plus de réactivité, on peut voir les réactions de chacun, on est plus à l’écoute. Cest plus productif que de recevoir les documents par les moyens digitaux dont nous disposons.

Le fait de se déplacer fréquemment, de voyager, est-il aujourdhui un facteur positif dans le recrutement des talents ou constitue-t-il un frein ?

F.V. : C’était un aspect attractif du métier, notamment dans notre secteur de lhôtellerie, mais je ne suis pas certain que ce sera encore autant perçu comme positif à lavenir. Cest un sujet de génération. Celle qui arrive aura-t-elle autant envie de voyager, davoir une telle fréquence de déplacement ? Et puis il ne faut pas trop fantasmer sur le fait daller auditer des hôtels de luxe à travers le monde. Si vous allez aux Maldives, un lieu paradisiaque quand vous êtes client, vous irez surtout en plein milieu dune île, dans des bureaux, et vous ne verrez pas beaucoup la plage…

Vous recrutez majoritairement vos équipes en interne, est-ce directement lié à la difficulté de recruter les auditeurs en sortie de cabinet daudit ?

F.V : Pour les derniers recrutements réalisés, compte-tenu des postes à pourvoir, nous avons privilégié lexpertise métier par rapport à une expertise financière par exemple. Nous avons bénéficié ainsi de candidatures de qualité émanant de personnes soient directement sorties d’écoles hôtelières soient déjà en fonction opérationnelle dans nos établissements. Par contre, si nous devons faire appel prochainement à des profils du type junior ou senior Big 4, jespère pouvoir capitaliser sur lattractivité de notre Groupe et du secteur dactivité.