25 avril 2022
Lecture 6 mn
L’audit interne est l’un des postes les plus difficiles à gérer actuellement
Maxime Caulier et Tanguy du Chalard, managers chez Michael Page
Michael Page est l’un des leaders du recrutement et de l’intérim spécialisés en France et dans le monde. Sa division Finance & Comptabilité accompagne les entreprises de toutes tailles dans leurs recrutements de cadres et dirigeants sur l’ensemble des métiers d’une direction financière : contrôle de gestion, contrôle financier, comptabilité… auxquels s’ajoutent donc les risques, l’audit et le contrôle interne. « Ces dernières fonctions représentent un enjeu très important pour nos clients aujourd’hui, » avance Tanguy du Chalard, Manager au sein du cabinet après une première partie de carrière en corporate finance, « ce sont des postes qui ont toujours été compliqués en termes de recrutement, mais c’est devenu encore plus difficile depuis quelques années ».
« L’audit externe paraît moins valorisant que par le passé »
Maxime Caulier, Manager chez Michael Page Finance, passé par l’audit financier chez Mazars notamment, connaît lui aussi les problématiques liées aux métiers du risque. Une expérience en cabinet d’audit externe très utile compte tenu des filières actuelles de recrutement des auditeurs, les départements d’audit interne recrutant aujourd’hui en priorité au sein des Big four. « Les profils des auditeurs internes que nous recrutons dépendent donc des profils des auditeurs externes pour une grande majorité, » confirme-t-il, « et ces dernières années, on a pu constater une évolution des profils de ces derniers dans les cabinets des Big four. Des cabinets d’audit externe qui auparavant recrutaient parmi le top 10 ou 15 des diplômés des grandes écoles. Mais ce top 10 ou 15 se dirige plutôt vers d’autres types de poste, y compris au sein des Big four, en conseil ou en stratégie, par exemple. L’audit externe leur paraît aujourd’hui moins intéressant, moins valorisant que par le passé. » Une situation qui a des répercussions à court terme sur l’audit interne, puisqu’on estime généralement que le passage en audit externe avant d’entrer en entreprise n’est que de deux ou trois ans en moyenne…
« Les jeunes diplômés aspirent à plus de flexibilité »
« Là où l’audit externe était considéré comme une voie royale pour débuter sa carrière, ce n’est visiblement plus le cas aujourd’hui. Les jeunes diplômés privilégient les postes en conseil ou et en stratégie, c’est désormais dans ces filières que les directions financières des entreprises du CAC 40 vont plutôt désormais recruter en priorité » confirme Tanguy du Chalard. Pourquoi cette désaffection des premiers de promotion pour l’audit externe ? La faute à l’audit externe lui-même ou un changement d’aspiration des jeunes diplômés ? « Un peu des deux, » estime Maxime Caulier, « les jeunes diplômés aspirent à plus de flexibilité, à un meilleur équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Ils sont plus sensibles aux enjeux écologiques liés au nombre de déplacements et donc à leur empreinte carbone. Et du côté des cabinets d’audit externe, on a mis du temps à réagir par rapport à ces aspirations et à un marché de la finance devenu un peu moins attractif, au profit du digital, des start-ups, notamment. Résultat : alors que nous n’avions aucune difficulté à recruter pour l’audit externe il y a quelques années, c’est devenu beaucoup plus difficile. » Le côté assez répétitif des tâches en audit externe serait également une des raisons de ce manque d’attractivité, pour une génération qui aspire sans doute à plus de variété., qui « s’ennuie » plus vite et souhaite accéder à des missions plus diversifiées et dans un périmètre plus large.
Le schéma de recrutement d’auditeurs internes en Big four reste bien ancré
Une situation qui a bien évidemment des conséquences sur le recrutement des auditeurs internes, puisque les DAI vont recruter traditionnellement en premier lieu au sein des cabinets d’audit externe. « Récemment, pour l’un de nos clients, nous devions recruter un auditeur senior avec 4 à 5 ans d‘expérience en Big four, » explique Maxime Caulier, « nous avions énormément de difficultés et nous avons convenus ensemble de recruter finalement plutôt deux auditeurs juniors à la sortie de l’école. C’est ce qui s’est passé ». Mais c’est une démarche qui reste assez exceptionnelle, reconnaît-il. Le schéma de recrutement d’auditeurs internes forcément issus des Big four reste bien ancré dans les grandes entreprises.
« Le niveau des rémunérations a explosé »
« Nous nous retrouvons souvent dans des situations où les attentes de nos clients ne correspondent pas à la réalité du marché, » explique Tanguy du Chalard, « ce qui fait de l’audit interne l’un des postes les plus difficiles à gérer actuellement. »
L’aspect rémunération n’est pas étranger à ces difficultés. « Le niveau des rémunérations a explosé ces deux ou trois dernières années, » poursuit-il, et les demandes des candidats sont donc souvent hors budget pour des départements d’audit.
Comment se déroule alors un recrutement ? « La clé, c’est la réactivité, » affirme Maxime Caulier, « Je travaille actuellement sur un recrutement d’auditeur interne pour un groupe du CAC 40. j’ai réalisé 110 approches directes sur LinkedIn pour une trentaine de retours, 25 négatifs et 8 positifs. Sur ces 8, j’en ai rencontré 4 et j’en ai envoyé 2 au client, qui avance bien avec l’un des 2 en vue d’un recrutement ». Des chiffres qui sont à peu près similaires pour toutes les missions, confirme Tanguy du Chalard.
Se tourner vers d’autres types de profils
Une situation qui a poussé certains directeurs d’audit à se tourner vers d’autres types de profils pour renforcer leurs équipes. Des ingénieurs par exemple. Mais les expériences ne sont pas toujours couronnées de succès, selon les deux experts de Michael Page : « Nous avons parmi nos candidats parfois effectivement des profils d’ingénieurs, spécialisés en contrôle financier par exemple, mais là encore on se confronte à des problèmes de rémunération, largement au-dessus du niveau du marché de l’audit ». Des ingénieurs qui se dirigent d’ailleurs de moins en moins, eux aussi, vers les Big four. Les profils de spécialistes de l’IT et de la data intéressent aussi de plus en plus les départements d’audit interne. « Nous avons beaucoup de demandes pour ces types de compétences, » reconnaît Tanguy du Chalard, « mais ça reste plutôt, avant tout, des recherches de profils d’auditeurs internes pour lesquels on nous demande qu’ils connaissent bien les sujets de business intelligence, qu’ils aient une bonne expérience de l’IT ou de l’analyse de datas notamment. »
Changer l’image des auditeurs
La crise sanitaire semble avoir également joué un rôle dans la difficulté à recruter des auditeurs internes, en accentuant le décalage entre les aspirations des candidats et les attentes des recruteurs. Pendant près de deux ans, les déplacements pour les missions ont été en grande partie stoppés, ce qui a engendré d’autres habitudes de travail… Et de vie personnelle. « Beaucoup de cadres ont déménagé en régions pour y trouver une meilleure qualité de vie, réussissant à travailler une bonne partie du temps depuis chez eux et un à deux jours au sein de l’entreprise, » confirme Maxime Caulier, « Ce qui est très difficilement conciliable avec un poste d’audit interne ».
Autre difficulté à surmonter, l’image même du métier, profondément ancrée dans l’esprit de beaucoup : « L’auditeur interne a longtemps été considéré comme la « police interne », » rappelle Tanguy du Chalard, « c’est très important aujourd’hui pour les groupes de pouvoir changer cette image. Les auditeurs et contrôleurs internes doivent être présentés comme des partenaires internes qui sont là pour accompagner les opérationnels et non pas les surveiller. C’est très important, parce qu’un auditeur externe qui vient sur un tel poste est en recherche justement de construire un partenariat bienveillant avec les opérationnels. Dans le cas contraire, ça ne fonctionnera pas ». D’où des tentatives de la part de certains clients de Michael Page de faire évoluer les choses. En faisant fusionner par exemple les départements d’audit et de contrôle internes pour favoriser des missions perçues réellement comme un accompagnement des opérationnels, mieux accepté de la part des équipes.
Une évolution qui passe d‘abord par l’interne
Quant à l’évolution de carrière des auditeurs internes en poste, il s’écrit d’abord au sein de l’entreprise. Si des auditeurs internes sont régulièrement candidats pour des postes en administration ou finance ou sur d’autres fonctions dans d’autres groupes, leurs profils ne sont pas retenus. « L’audit interne peut toujours être considéré comme une voie royale pour évoluer, mais d’abord au sein de l’entreprise, » rappelle Maxime Caulier, « si un auditeur aspire à d’autres fonctions à l’extérieur, il vaut mieux d’abord changer au sein de l’entreprise avant d’envisager d’aller voir ailleurs. Il y a un passage post-audit, en interne, qui est un peu obligé. Nous recrutons environ 350 personnes par an et si vous me demandez combien nous avons placé d’auditeurs internes sur d’autres postes que l’audit, la réponse est zéro ». « Mais à nos yeux, c’est une erreur de perception de nos clients, » ajoute Tanguy du Chalard, « parce que ce sont des profils qui ont une vision opérationnelle très large et qui savent échanger avec les équipes ».