18 février 2021
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Transition énergétique et hydrogène les auditeurs ont un rôle à jouer
L’hydrogène apparaît aujourd’hui comme la piste la plus prometteuse pour parvenir à une véritable transition énergétique. Pierre-Étienne Franc, Directeur de l’activité mondiale Énergie Hydrogène d’Air Liquide, fait pour l’IFACI le point sur ce que cette molécule pourrait changer dans les années à venir.
Pourquoi l’hydrogène est-il devenu un sujet central de la transition énergétique ?
Pierre-Étienne Franc : Tout le monde a pris conscience aujourd’hui de l’urgence climatique... Or, la transition énergétique nécessite que notre énergie primaire devienne renouvelable à des prix de plus en plus compétitifs. Les 30 dernières années ont montré que l’on était capable de le faire avec le solaire, l’éolien, l’hydroélectrique... Mais il y a aussi des contraintes liées à son intermittence, car cette énergie n’est pas disponible tout le temps (elle est parfois disponible lorsqu’on n’en a pas besoin). L’hydrogène, que l’on peut produire en utilisant cette énergie disponible, par électrolyse de l’eau, devient un outil de stockage et de réutilisation, un vecteur d’énergie totalement vert et très utile. Si l’hydrogène n’est pas l’unique solution à la transition énergétique, il est à présent reconnu que le recours à l’hydrogène est incontournable pour accompagner la transition énergétique et décarboner l’économie mondiale, notamment en devenant le vecteur d’usage des énergies renouvelables.
Et l’hydrogène est LA solution ?
P.-É. F. : C’est la molécule la plus abondante de l’univers et énergétiquement la plus riche. D’ailleurs, quand on brûle des hydrocarbures, on brûle du carbone et de l’hydrogène, et l’énergie, on la retire d’abord de l’hydrogène. Si j’extrais mon hydrogène de mon énergie fossile et que je séquestre le carbone, j’ai trouvé un moyen de transformer mon énergie fossile en une énergie propre qui n’émettra pas de CO2... L’hydrogène a un deuxième avantage : utilisé pour alimenter une pile à combustible, il émet uniquement de la vapeur d’eau. Il n’émet pas de produits carbonés (ni monoxyde de carbone, ni hydrocarbures, qui sont les principaux polluants des villes), ni de CO2. C’est donc une solution prometteuse et innovante !
Quel est votre rôle, et celui d’Air Liquide, dans le développement de ces solutions ?
P.-É. F. : Le métier d’Air Liquide est de produire et de distribuer des molécules, soit à base de gaz, soit à base de produits hydrocarbonés, donc d’hydrogène. De mon côté, en tant que Directeur de l’activité hydrogène au niveau monde, nous essayons de développer un écosystème vertueux qui puisse non seulement servir les besoins du Groupe mais surtout ceux de la Société. C’est la clé pour l’avenir de nos solutions énergétiques. C’est une approche très différente de ce que l’on fait d’habitude dans le monde industriel, avec des marchés existants et des clients qui lancent des appels d’offres... Là, il faut tout créer : faire comprendre l’importance de passer à l’hydrogène, inciter les constructeurs à développer des technologies, installer les réseaux de distribution et que les pouvoirs publics jouent leur rôle...
On sent aujourd’hui que l’hydrogène est justement devenu une priorité pour les États...
P.-É. F. : Les pouvoirs publics ont compris ce que l’on a essayé de mettre en place avec le Conseil de l’Hydrogène*, auquel participent de grands industriels, pour montrer qu’il s’agit d’une solution incontournable. Tous les gouvernements vraiment sérieux sur leur engagement dans la transition énergétique ont forcément dans leur politique un volet hydrogène. La France, l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, la Chine et bien d’autres. Tous ces pays comprennent que l’on ne peut pas se contenter de faire de petites expérimentations. La France en a pris la mesure. On est passé d’un budget de 100 millions à 7 milliards d’euros... On ne peut que s’en féliciter. Maintenant, l’enjeu est de savoir combien de temps il va falloir pour que les politiques soient mises en œuvre, dans le cadre réglementaire un peu complexe de notre organisation européenne, malgré l’impressionnante volonté de la Commission sur le sujet...
Quels sont les autres défis à venir ?
P.-É. F. : Le grand sujet, ce sont les coûts. Et pour les faire baisser, on ne peut pas se contenter de réaliser quelques stations ici ou là, il faut passer à une grande échelle. Pour cela, on a besoin de politiques publiques globales, avec des aides à ceux qui investissent ainsi que de réglementations imposant progressivement aux émetteurs de CO2 (transports, industrie...) de réduire leurs émissions. C’est la combinaison des deux qui permettra à l’écosystème de l’hydrogène de devenir compétitif. Le marché ne peut pas tout, il a besoin d’une direction et d’une redéfinition de tout notre système énergétique.
Toutes les questions techniques sont-elles aplanies, n’est-ce plus qu’une question d’investissement ?
P.-É. F. : Il y a toujours des enjeux clés, à commencer par la sécurité. On doit être sûr que s’il y a une fuite, par exemple, il n’y ait pas d’explosion. Dans les véhicules ou pour les usages publics, l’hydrogène doit être correctement conditionné. En ce qui concerne le stockage, on arrive à stocker beaucoup plus d’énergie dans une voiture grâce à l’hydrogène qu’avec une batterie : nous arrivons à une autonomie de 600 à 700 kilomètres avec un temps de rechargement qui ne prend que 3 à 5 minutes.
On en revient donc au coût ?
P.-É. F. : Jusqu’à présent, le pétrole était le meilleur compromis en termes de rapport coût-efficacité. On ne retrouvera pas ça. Les désastres causés par le pétrole sont infiniment supérieurs aux bénéfices apportés. Nous devons donc changer de modèle. Il faut massifier les investissements, mais ceux-ci sont importants et ne peuvent être amortis que sur de longues durées. Les gouvernements doivent tenir une direction dans la durée, et pour cela, le dialogue public-privé est absolument essentiel.
Dans combien d’années peut-on imaginer des applications visibles ?
P.-É. F. : Dans la décennie qui vient, on verra de l’hydrogène dans les transports, dans certaines industries et dans des bâtiments. Dès 2030, il y aura des centaines de milliers de véhicules et de gros sites de production. On sait utiliser de l’hydrogène dans les voitures (il y en a déjà plus de 20 000 dans le monde...). Tous les éléments sont en train de converger vers des niveaux tout à fait comparables avec ce que propose une énergie fossile.
Les auditeurs auront-ils un rôle à jouer ?
P.-É. F. : Lors du développement de nouveaux marchés, comme c’est actuellement le cas pour l’hydrogène, on prend des risques qui, vus sous l’angle de marchés et d’entreprises établis, sont plus importants. La notion d’incertitude, dans ces dynamiques est une source de valeur, quand elle peut être une source de risque et de repli dans des métiers matures. Cette valeur de l’incertitude peut être contre-intuitive dans un métier d’identification des risques et des éléments de contrôle. Mais c’est aussi sous cet angle que les auditeurs ont un rôle à jouer en ce que l’incertitude des évolutions climatiques et réglementations associées devient un élément de risque essentiel sur lequel l’entreprise doit agir, et dans les stratégies d’action, les leviers de l’entrepreneuriat, avec ce que cela comporte de positionnement des grands groupes sur les métiers avancés de la transition, font partie des solutions qu’ils peuvent et doivent suggérer. La capacité des auditeurs à s’assurer que ce sujet, qui devient absolument incontournable dans les stratégies d’entreprise, soit bien au cœur des sujets de gouvernance, de contrôle et d’audit, me semble un autre moyen de faire progresser la cause.
Pierre-Etienne Franc, Air Liquide, Directeur de l'activité mondiale énergie hydrogène
* https://hydrogencouncil.com/en/