C’est une première dans les annales politico-judiciaires : le référendum baptisé « l’affaire du siècle », accusant l’État français d’inaction climatique, a recueilli deux millions de signatures. Et les quatre ONG qui en sont à l’origine ont décidé de poursuivre la France en justice. Les entreprises, souvent prises pour cibles, sont quant à elles trop passives face aux enjeux environnementaux ? Un nombre croissant de groupes s’engagent au contraire dans ce combat, quitte à revoir leur stratégie.
L’impressionnante adhésion à la pétition « l’affaire du siècle » - lancée par Oxfam, Greenpeace, Notre affaire à tous et la Fondation Nicolas Hulot - est-elle le signe d’un réveil des consciences face à des enjeux climatiques sans précédent ? Toujours est-il que cette action spectaculaire est intervenue dans un contexte qui démontre que les menaces qui pèsent sur l’environnement n’ont jamais été autant prises au sérieux : grève mondiale des lycéens pour le climat le 15 mars dernier, manifestations à répétition partout en Europe… Des mobilisations intervenues après une succession d’événements interprétés comme des signaux très négatifs. Avec notamment la démission de Nicolas Hulot de son poste au gouvernement, mais surtout le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Rendu public en octobre dernier, il avançait les dernières données scientifiques – très alarmantes - concernant le changement climatique.
Les quatre ONG avaient déjà envoyé un courrier en février au Premier ministre Édouard Philippe, ainsi qu’à douze ministres et « carence fautive ». Le gouvernement avait choisi en réponse de défendre son bilan, via une lettre du ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy.
La nécessité de "changer de modèle"
Mais l’État français n’est pas la seule cible des organisations de défense de l’environnement. Les entreprises sont elles aussi régulièrement en ligne de mire des ONG, qui les accusent régulièrement de ne pas faire assez d’efforts pour limiter la pollution qu’elles engendrent, que ce soit à travers leur production industrielle ou le transport des marchandises. Certaines ont déjà fait l’objet de poursuites devant la justice et, vu le succès de la pétition « l’affaire du siècle », il paraît difficile d’écarter à l’avenir la possibilité d’actions tout aussi spectaculaires visant un grand groupe…
Pourtant, les entreprises, comme les citoyens, ont bel et bien pris conscience des enjeux environnementaux. De nombreux exemples sont là désormais pour le démontrer. L’an dernier, dans nos colonnes, Fabrice Bonnifet, Directeur développement durable et QSE du groupe Bouygues, insistait sur la nécessité de « changer de modèle »1 pour éviter une véritable catastrophe environnementale. Un changement qui était avant tout de la responsabilité des entreprises, selon lui. « Pour une banque, » avançait- il à titre d’exemple, « ce sont ses décisions d’investissements qui sont importantes. Si elle continue d’investir de l’argent dans des centrales à charbon, des systèmes de productions agricoles intensifs... Elle contribue indirectement à alimenter le problème. Si elle investit dans des industries plus éco-responsables, elle contribue à la solution ». Un message entendu en mars dernier par BNP Paribas Asset Management, qui s’est engagé à désinvestir, d’ici 2020, 1 milliard de dollars des entreprises tirant plus de 10% de leurs revenus du charbon. Une décision saluée par plusieurs associations.
Les recommandations de reporting de la task force
Et il ne s’agit pas d’un cas unique. Selon une étude du cabinet Deloitte2, les grandes entreprises françaises du CAC 40 commencent réellement à prendre en compte les enjeux climatiques dans leur stratégie. En adoptant notamment les recommandations de reporting climat publiées par la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) sur la transparence financière des entreprises en la matière. Deloitte souligne que les secteurs de la finance et de l’énergie notamment « ont déjà élaboré une réflexion souvent assez fine du sujet du changement climatique et qu’elles le positionnent assez largement comme un sujet de Direction Générale et un sujet pour les organes de gouvernance ».
En Belgique, 220 dirigeants ont récemment signé la pétition « Sign for my future », demandant l’adoption d’une loi climat. Signataire de l’appel, Michel Croisé, CEO de Sodexo Benelux, expliquait au magazine 7 sur 7 : « Il faut montrer qu’on est investi dans la question de l’environnement, mais qu’on exige aussi des pouvoirs publics et des dirigeants d’aller dans ce sens. Et leur dire qu’il faut aller vite ». « Qu’elles le veuillent ou non, les entreprises vont devoir s’aligner sur la réalité et l’énormité de l’enjeu climatique, » expliquait de son côté un autre signataire, Alexis Descampe, CEO et co-fondateur de la coopérative de magasins Färm . « Il faut clairement des obligations très fortes à la mesure des enjeux », le rôle de l’État étant selon lui de s’assurer que cet engagement n’entraîne pas d’éventuelles distorsions de concurrence. Des voix s’élèvent ainsi un peu partout dans le monde, y compris là où on les attendrait le moins. Aux États-Unis, dix jours seulement après l’élection de Donald Trump, plus de 350 entreprises, dont HP, eBay ou Hilton, avaient déjà signé un communiqué commun enjoignant le futur président à respecter les accords de Paris. « La prospérité de l’Amérique sera menacée si nous ne construisons pas une économie économe en hydrocarbures », était-il même stipulé dans le document. Plus étonnant, les grands groupes de l’énergie, comme ExxonMobil, Shell, ou BP, avaient insisté sur l’opportunité de ces mêmes accords. L’occasion selon eux de privilégier le gaz naturel, très riche dans le sous-sol américain il est vrai, mais dégageant deux fois moins d’émissions que le charbon.
Face à l’inertie, apparente ou réelle, de nombreux États, pourtant signataires des accords de Paris, les entreprises pourraient bien être le meilleur rempart contre l’inéluctable. Car, comme le rappelait Fabrice Bonnifet, ce « challenge est celui de toutes les entreprises, mais aussi des villes, des États. Le petit avantage que l’on a nous, dans les entreprises, c’est que l’on a peut-être plus conscience de notre vulnérabilité. Les entreprises, contrairement aux États, peuvent disparaître ».