04 décembre 2024
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« L'intelligence artificielle au service du contrôle interne : vers une nouvelle ère d'efficacité » Marie Yeganeh, directrice du contrôle interne et du management des risques de Saint-Gobain
Depuis 2023, Saint-Gobain a mis au point un Chatbot basé sur l'intelligence artificielle. Destiné, dans un premier temps, à permettre aux collaborateurs du Groupe de consulter les référentiels de contrôle interne, il a été complété depuis par un accès aux bonnes pratiques et aux modules de formation. Marie Yeganeh, directrice du contrôle interne et du management des risques, ainsi que son équipe, dressent pour l’IFACI un bilan de la mise en place de cet outil, des retours des utilisateurs et évoquent les évolutions à venir.
En se tournant très tôt vers l’intelligence artificielle, le département contrôle interne de Saint-Gobain a pu développer dès l’an dernier un Chatbot permettant d’accéder à l’ensemble des référentiels de contrôle interne. « Nous disposons chez Saint-Gobain d’un référentiel solide qui énumère toutes nos règles relatives au contrôle interne », explique Marie Yeganeh, directrice du contrôle interne et du management des risques. « C'est un document qui est destiné aux entités réalisant plus de 20 millions d’euros de chiffre d'affaires. Nous avons aussi un autre référentiel pour les entités de plus petite taille, et un autre encore qui explique comment implémenter les contrôles internes automatiques au sein de nos ERP. » Autant de socles de référentiels qui sont mis à jour chaque année en fonction des évolutions des règles du groupe, mais aussi des régulations qui s’appliquent aux différentes fonctions.
« L’objectif principal du Chatbot est de simplifier l’accès à l’information pour l’ensemble des collaborateurs de Saint-Gobain. Plutôt que de parcourir manuellement les documents page par page, les utilisateurs peuvent poser leurs questions directement au Chatbot, et ce, dans leur langue maternelle. Cette fonctionnalité est particulièrement précieuse, car nos référentiels sont disponibles uniquement en français et en anglais. Grâce au Chatbot, chaque collaborateur peut formuler une question dans sa langue natale et recevoir une réponse pertinente dans cette même langue », explique Marie Yeganeh. Les résultats restent précis avec la traduction, car chaque réponse inclut systématiquement une référence au texte source. Ainsi, en cas de doute, il est toujours possible de revenir à la documentation originale.
Le Chatbot offre bien plus qu’un simple lien vers les référentiels : il propose également des accès directs aux bonnes pratiques associées ainsi qu’aux formations pertinentes sur le sujet recherché.
Baptisé désormais ERICA, pour « Enterprise Risk and Internal Control Advisor », ce Chatbot ne s’adresse pas qu’aux experts du contrôle interne, comme le confirment Hugo Lavergne et Guillaume Roblot-Gallo, spécialistes du contrôle interne et de la gestion des risques, qui ont participé au projet.
Pour Hugo Lavergne : « ERICA reste un outil d'intelligence artificielle qui ne va pas être capable de faire une analyse aussi fine que celle qu'un humain pourrait réaliser. En revanche, c’est un outil très utile pour promouvoir le contrôle interne, constituer une première porte d'accès à sa découverte, en comprendre les principes et rendre accessible l'information. » Car si tous les employés de Saint-Gobain sont sensibilisés aux thèmes liés au contrôle interne, notamment celui de la fraude, tous n’ont pas une connaissance approfondie de ces sujets.
« D’un point de vue technique, ERICA a été conçu pour fonctionner avec ChatGPT », précise Guillaume Roblot-Gallo. « Or, cette génération d’IA est théoriquement obligée de donner une réponse, peu importe si elle est vraie ou fausse. Ce qui est très compliqué dans le contrôle interne, puisqu’il n’est pas question d’apporter une mauvaise réponse. Or, le Chatbot a justement été très bien structuré, car même en se basant sur la technologie ChatGPT, s’il n'y a pas de réponse provenant de nos référentiels, il ne fournira pas de réponse. »
« Utiliser l’intelligence artificielle pour aider à mettre en place des règles de contrôle interne »
« Au sein du département, nous avons une bibliothèque de bonnes pratiques avec plus de 200 cas répertoriés par processus (achats, finance, ventes, etc.) qui est désormais à la disposition de tous sur ERICA via un lien donné dans chaque réponse », ajoute Marie Yeganeh. « Cela permet un meilleur accès aux bonnes pratiques pour la personne qui consulte un point de contrôle en particulier. Nous avons aussi un ensemble de 58 modules de formation en contrôle interne, répartis par processus avec différents niveaux (overview, advanced ou expert). Quand l’utilisateur pose sa question au Chatbot, il a donc également accès au bon module de formation qui correspond au point de contrôle qui l’intéresse. »
Une initiative qui a suscité l’intérêt de plusieurs autres départements au sein du groupe, avec à la clé trois types d'extensions envisagés.
La première extension consiste à capitaliser sur les développements déjà réalisés pour ce chatbot, afin d’élargir son périmètre au-delà du seul univers du contrôle interne.
« Cette démarche ouvre la voie à l’intégration d’autres domaines clés chez Saint-Gobain, tels que les règles en matière de développement durable, les achats, les normes comptables, l’EHS, et bien d’autres », explique Marie Yeganeh. « Pour cela, nous avons mis en place un groupe de travail chargé de mutualiser nos efforts et d’explorer la possibilité de créer un "super chatbot" commun. L’objectif n’est pas de remplacer ce qui existe déjà, mais d’offrir à l’utilisateur final une porte d’entrée unique, capable de le rediriger vers un chatbot spécialisé correspondant à sa demande. » À titre d’exemple, un chatbot dédié aux normes comptables a été récemment été développé sur notre modèle, mais il reste, pour l’heure, indépendant de celui consacré au contrôle interne.
Le second type d’extension envisagé est déjà en développement : l’utilisation de l’intelligence artificielle pour aider à mettre en place des règles de contrôle interne et faciliter le travail des collaborateurs, soit dans leur analyse des écarts avec ce qui est attendu par le référentiel de contrôle interne, soit dans la mise en place des plans d’actions qui découlent de ces analyses. Un exemple d’application est la revue des procédures automatisée dans l’outil.
Le troisième type d’extension s’inscrit directement dans le domaine de l’audit interne. Il explore comment l’intelligence artificielle peut contribuer à optimiser l’approche d’audit, non seulement en soutenant le déploiement des missions, mais également en facilitant la génération des rapports, la planification des interventions et l’allocation des ressources dans le cadre du plan d’audit.
« Permettre aux auditeurs de gagner en efficacité sans alourdir leur charge de travail »
« La plateforme sur laquelle est construite ERICA est une plateforme dédiée à tous les chatbots du groupe, ce qui permet de créer ce que l’on appelle des playgrounds », complète Hugo Lavergne. « Il est possible d’utiliser depuis maintenant gratuitement la technologie Chat GPT 4.o mini, qui est largement plus puissante que la technologie 3.5 utilisée lors de la création d’ERICA. On peut donner toutes sortes d'instructions au chatbot que l'on crée et le nourrir avec des fichiers en guise de base de données, de connaissances. Avec pour objectif final, comme l'explique Marie, d’aider les auditeurs dans leurs missions, jusqu’à la rédaction de leur rapport. On pourrait imaginer, par exemple, qu’un auditeur qui doit faire un audit au Portugal puisse automatiser l’analyse de la politique des ventes ou de la politique de voyage de l'entité portugaise. Cela lui permettrait de gagner un temps précieux sur la revue de ces procédures, qui peut être assez laborieuse, notamment du fait de la barrière de la langue, en se focalisant sur les points les plus importants de sa mission. »
« Il y a encore beaucoup de travail avant d’arriver à ce résultat », ajoute de son côté Guillaume Roblot-Gallo. « Mais nous imaginons aussi d’autres types d'approches, comme la possibilité d’aider les auditeurs à faire ce que l’on appelle un design flowchart, un procédé de visualisation permettant de montrer tout le processus de l'entité, les points de risque, les points d'amélioration, avec une vision synthétique des risques, des forces, et des opportunités. Les chatbots d'intelligence artificielle sont aujourd’hui capables de le faire. »
« L’avenir de nos métiers se situe clairement dans l’utilisation de l’intelligence artificielle »
« C'est une dimension qui est déjà bien développée au sein des fonctions juridiques », précise Marie Yeganeh. « Les juristes gèrent beaucoup de contrats et utilisent l'intelligence artificielle pour réaliser l'analyse de ceux-ci. C'est un peu la même démarche en termes d'approche pour l'analyse de documents et l'identification des écarts, avec à la clé un gain de temps exceptionnel. Avec les évolutions technologiques que nous pouvons déjà imaginer pour les années à venir, une autoroute de possibilités s’ouvre à nous. Nos analyses se fondent sur des données, et il y aura énormément de possibilités d'évolution qui ne tueront pas le travail du contrôleur interne ni de l'auditeur, mais qui constitueront une assistance incroyable pour aller plus loin dans les analyses, en passant, par exemple, d’une méthode d'échantillonnage traditionnelle à des analyses beaucoup plus exhaustives, et en approfondissant notamment la détection de la fraude. L’avenir de nos métiers se situe clairement dans l’utilisation de l’intelligence artificielle, mais toujours, évidemment, sous la supervision et le jugement professionnel d’un humain. »