31 janvier 2016
Lecture 4 mn
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L’audit du processus décisionnel
« bad decisions make good stories » (anonyme)
Note : cet article ne faisant qu’introduire les principes de base de l’analyse décisionnelle, nous renvoyons notre lecteur à notre ouvrage : http://crdl1979.wix.com/risqueetcontrole
C’est un lieu commun de dire que l’on attend avant tout d’un dirigeant qu’il prenne de « bonnes décisions ». Si cette qualité est fréquemment attendue de ceux qui sont confrontés au quotidien à des choix parfois difficiles, il est en revanche très rare que soient questionnés les processus qui ont conduit à l’adoption de ces derniers.
Principalement du fait de son indépendance dans l’organisation, nous sommes convaincus que l’audit interne peut ici jouer un rôle important au regard de ce qui est encore considéré comme un gigantesque tabou dans la plupart des entreprises françaises: l’analyse a priori et/ou a posteriori, non des décisions prises par les dirigeants, mais de la façon dont ces dernières ont été prises (ce que l’on appellera le processus décisionnel).
Pour mener cette analyse, il convient tout d’abord de préciser ce qu’est une « bonne décision ». D’après plusieurs enseignants de Harvard cette dernière doit être avant tout la résultante d’un processus dont la qualité est d’autant plus importante que: i) les décideurs se focalisent sur ce qui est important ii) ce dernier est rationnel (et il peut être dupliqué dans une situation équivalente) iii) il tient compte de l’ensemble des informations disponibles et pertinentes iv) il est transparent (on est capable de retracer l’historique de la décision), favorisant ainsi la responsabilisation v) il existe un processus pour en évaluer l’efficacité et prendre les mesures correctives si nécessaire.
Quelles sont alors les conditions qui permettent de maximiser la qualité du processus décisionnel, conditions qui devraient faire l’objet selon nous d’une revue de l’audit interne lorsque les décisions prises ont un impact significatif sur la vie de l’entreprise (recrutement d’un nouveau PDG, acquisition, investissement dans un ERP, déménagement…) ?
La première étape consiste souvent à bien appréhender l’environnement culturel dans lequel la décision a été prise : l’organisation a-t-elle pour habitude de récompenser aussi bien les optimistes que les pessimistes ? Quelle est la tolérance vis-à-vis de l’erreur ? Les individus ont ils pour habitude de partager les informations qu’ils détiennent…Tous ces facteurs (et bien d’autres) vont exercer une influence majeure (et parfois catastrophique) sur le processus de décision[1]. Toutes ces questions devraient être adressées au moins une fois par l’audit interne (impérativement soutenu par des psychologues sociaux et/ou des sociologues des organisations) auprès d’un public large dans l’entreprise afin que soit formalisée l’environnement culturel de la prise de décision au sein de cette dernière.
La seconde étape consiste à bien comprendre l’environnement matériel, organisationnel et temporel dans lequel la décision a été prise : la décision a-t-elle été prise en dehors des locaux habituels de la société (le simple fait de disposer des plantes vertes accroît de manière significative la perception positive de l’environnement, la disposition des personnes autour d’une table n’est également pas sans conséquence, les personnes participantes ont-elles été « invitées » ou « convoquées »., etc…) ? Quel a été le « mode » de décision (majorité simple, majorité qualifiée, existence de droits de véto, etc…) ? Enfin, il convient toujours de s’interroger sur le degré d’urgence de la prise de décision : plus celui-ci est élevé, moins les décisions prises seront « bonnes ». Ces questions, contrairement aux précédentes peuvent être abordées uniquement par l’audit interne et faire l’objet d’une restitution plus ou moins formelle auprès du management. A titre d’exemple, j’ai un jour souligné à un directeur financier groupe que toutes les réunions qu’il organisait avec les directeurs financiers des pays s’organisaient physiquement de la même manière : les salariés du groupe étant d’un côté de la table, ceux des pays étant systématiquement placés « naturellement » en face dans une « logique » qui ressemblait fortement et de manière tout à fait inconsciente à la de confrontation (point qu’il leur a fait remarquer par la suite conduisant à un changement assez marqué d’attitude).
La troisième étape consiste souvent à s’intéresser aux les influences sociales, heuristiques et biais cognitifs susceptibles d’avoir un impact négatif sur le processus de décision: polarisation des groupes, esprit grégaire, heuristiques de représentativité et de disponibilité, biais de l’information partagée, biais de confirmation, biais d’optimiste, biais de mémorisation…L’audit interne peut ici proposer au management d’avoir recours aux techniques issues du monde de l’analyse décisionnelle pour atténuer l’impact de ces difficultés structurelles de jugement propres à l’être humain. Ces techniques ne sont pas toujours complexes (ex : recours à un « avocat du diable », séparation de la collecte d’information et de la prise de décision, émission d’idée à « bulletins secrets », méthode des 6 chapeaux…) même s’il est vrai que certaines d’entre elles requièrent des moyens importants (ex : Delphi), voire une certaine expertise (méthode des swaps d’événement, méthode du groupe nominal…).
On reproche assez souvent à l’audit interne de ne pas être impliqué dans les décisions stratégiques de l’entreprise. Si je pense que l’audit interne ne doit pas en effet se prononcer sur la décision stratégique elle-même[2] (ex : lancement d’un nouveau produit), je suis en revanche convaincu que ce métier à un rôle fondamental, du fait de son indépendance, à jouer quant à l’analyse du processus qui va conduire/a conduit à la prise de cette décision. Ensemble, brisons le tabou !
[1] Je renvois ici notre lecteur (notamment) aux deux excellents ouvrages du sociologue Christian Morel dédiés aux « décisions absurdes », qui comprennent de nombreux exemples d’environnements culturels a priori « hostiles » à une prise de décision éclairée (l’armée, l’aviation civile, les hôpitaux…).
[2] Sauf à se prononcer sur l’existence de certains risques, mais c’est également le travail de la direction financière, de la direction juridique…