15 avril 2022
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« Il est beaucoup plus compliqué de passer de l’audit externe à l’audit interne que ce que l’on imagine »
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Olivier Thoumyre : Je suis arrivé chez Orano il y a 30 ans. A l’époque le groupe s’appelait Cogema. Nous sommes devenus AREVA en 2000 avec la fusion de Cogema et Framatome. C’est à l’issue d’une restructuration profonde du groupe en 2016-2017 qui a conduit à la cession de Framatome à EDF, qu’AREVA est devenu Orano, en charge de l’ensemble du cycle du combustible nucléaire, de la mine jusqu’au recyclage. Aujourd’hui, environ 10% de la production d’électricité est issue de combustible recyclé.
Mon parcours fut marqué par 15 années d’expatriation sur trois continents ainsi que des postes variés de la gestion commerciale (ouverture d’un bureau de représentation à Osaka) à la direction financière successivement d’une filiale, de la région Nord Amérique puis de la branche recyclage du groupe, en passant par la restructuration du groupe en 2016 et 2017. C’est en 2018 que j’ai pris la direction des risques et de l’audit interne. Ce parcours riche, je le dois à une certaine prise de risque et à la formation continue avec en particulier un Mastère de gestion financière à HEC à 40 ans puis un cycle de formation sur la valorisation d’entreprise. Cette expérience professionnelle et la connaissance des activités du groupe sont certainement mes deux plus grands atouts dans l’exercice de mes fonctions actuelles.
« Il a fallu remonter une équipe en partant pratiquement de zéro. »
Comment avez-vous constitué votre équipe d’audit interne ?
O.T. : J’ai pris mes fonctions en 2018, à la suite d’un plan de départ volontaire qui avait décimé la direction. Il a donc fallu remonter une équipe en partant pratiquement de zéro. En 2018-2019, il était relativement facile de trouver des candidats. J’ai donc pu recruter en externe une première vague de 4 à 5 auditeurs venant des Big four. Mais j’ai rapidement fait face à un important turnover car, en dépit des apparences, il est beaucoup plus compliqué de passer de l’audit externe à l’audit interne que ne se l’imaginent généralement les candidats issus de cette filière.
Pour quelle raison ?
O.T. : Les auditeurs externes arrivent d’une structure avec beaucoup de strates hiérarchiques et des contraintes fortes en termes de livrables à un environnement beaucoup moins pyramidal et où l’autonomie, l’analyse et la réflexion personnelle et collective prennent une place prépondérante pour être à même d’évaluer les processus du groupe tant au niveau du contrôle interne que de la performance. La rareté des ressources au sein du service en 2018 m’a conduit à développer le concept d’équipes agiles pour conduire les missions d’audit ; le poste de superviseur de la mission ne correspond plus à un niveau hiérarchique mais à un rôle (parmi d’autres), qui peut d’ailleurs tourner au sein de l’équipe d’une mission à l’autre. Les auditeurs se retrouvent ainsi mis très vite en responsabilité, avec une certaine autonomie, et cela surprend souvent ceux qui viennent de l’audit externe.
« Le profil idéal pour nous, ce sont des jeunes issus de cabinets mais avec une formation initiale d’ingénieur»
Comment effectuez-vous vos recrutements aujourd’hui ?
O.T. : Je recrute autant en interne qu’en externe. Les candidats en interne, s’ils n’ont en général aucune expérience d’audit, connaissent en revanche très bien le groupe et les différents métiers. Ils ont le plus souvent une solide expérience, ayant entre 40 et 60 ans. Ils ont un parcours de formation à l’IFACI pour apprendre la méthodologie.
Les recrutements externes apportent en revanche des compétences d’auditeur. Ces deux populations s’enrichissent mutuellement et la diversité des équipes représente un véritable facteur d’analyse et de discernement dans l’évaluation des processus du groupe.
Vous recrutez donc moins d’auditeurs externes ?
O.T. : Je recrute toujours des auditeurs externes, mais en les questionnant beaucoup plus sur leurs motivations à venir exercer en audit interne. Et je recrute aussi des personnes issues de la filière conseil de ces cabinets. Le profil idéal, compte tenu de la culture de notre groupe, sont des jeunes issus de ces cabinets dotés d’une formation initiale d’ingénieur. Mais ils sont rares actuellement !
Comment êtes-vous organisé aujourd’hui ?
O.T. : Nous sommes dix à douze auditeurs, un risk manager, une assistante et moi-même. Et un à deux alternants qui viennent nous aider.
Et sur les parties plus techniques, comme la data, le cyber… ?
O.T. : Notre équipe est trop petite pour avoir un auditeur consacré à la data ou sur le cyber. Pour autant, ce sont des domaines de plus en plus importants. Pour la data, nous partageons des ressources avec la direction financière du groupe, en passant des commandes au pôle data management sur la base de types d’extractions préalablement définis.
Pour la cybersécurité, nous avons une personne dans l’équipe avec une certification dans ce domaine. Elle ne fait pas que ça mais peut en revanche superviser des ressources externes, qui sont à même de faire des tests d’intrusion, par exemple.
« J’attache finalement plus d’importance aux qualités humaines qu’aux connaissances techniques. »
Vous disiez recruter en priorité des candidats d’expérience. Donc pas de jeunes auditeurs ?
O.T. : Il faut un équilibre. Nous avons aussi besoin de personnes plus jeunes, mais qui ont une bonne méthodologie et qui savent mener des entretiens, créer de la confiance tout en gardant la bonne distance. J’attache finalement plus d’importance aux qualités humaines qu’aux connaissances techniques.
« Savoir mener des entretiens », « créer de la confiance » : cela demande déjà une certaine expérience…
O.T. : C’est vrai et je ne recrute jamais des gens qui sortent directement d’écoles, mais des personnes qui ont a minima 3 à 5 ans d’expérience professionnelle. D’autant que dans le nucléaire, nous avons des sites industriels complexes, des organisations qui le sont parfois aussi. Les auditeurs peuvent se retrouver face à des collaborateurs d’une grande expérience, qui aiment leur métier, et qui ne sont pas toujours facile à interroger en entretien… car il s’agit avant tout d’évaluer les risques d’une entité. Il faut donc des auditeurs avec beaucoup de bienveillance, capables de garder leur calme en toutes circonstances et de gérer d’éventuelles résistances avec maturité.
Comment recrutez-vous. Par approche directe, via les RH, un cabinet de recrutement externe ?
O.T. : Nous avons un très bon support des ressources humaines avec qui nous évoquons les recrutements régulièrement. Les canaux de recrutements sont multiples : approche directe, LinkedIn et cabinets de recrutement.
Pour autant, le fait d’avoir récemment changé de nom et la tension actuelle du marché n'aident pas. Les exigences salariales des candidats sont parfois difficilement conciliables avec les niveaux de salaire internes.
En revanche, Orano est perçue comme une société avec une vraie raison d’être qui s’inscrit pleinement dans la transition énergétique. Nous sommes au service d’une industrie stratégique pour le pays, et dans un environnement de haute technologie. Le capital humain est donc primordial et rend la société très attachante.
Un candidat qui serait principalement motivé pour des questions financières ne nous intéresse pas. Nous recherchons des profils capables de développer des qualités humaines, de la curiosité, une profondeur d’analyse et une capacité à créer de la relation.
« N’hésitez pas à faire des candidatures spontanées ! »
Que conseilleriez-vous à de jeunes diplômés qui souhaitent se diriger vers l’audit interne sans pour autant passer par l’audit externe ?
O.T. : C’est une bonne question. En fait, cela dépend de quelle école ils sortent. Pour un jeune qui a fait une école de gestion, par exemple, entrer dans un cabinet d’audit externe ou de conseil peut être une très bonne approche pour acquérir la méthodologie. Conseil en organisation, conseil en contrôle interne, conseil en conformité… C’est une bonne formation et après, nous nous chargeons de le former en audit interne.
Concernant ceux qui sortent d’écoles d’ingénieurs, il n’y en a malheureusement pas beaucoup aujourd’hui qui choisissent l’audit interne et c’est bien dommage car c’est un accélérateur pour comprendre le groupe. Ceux que nous recrutons sont parfois des ingénieurs qui sont passés par l’audit externe et qui recherche plus de concret et de variété dans les missions.
Chez Orano, chaque mission est un nouveau projet, avec la découverte du cadre de travail d’une partie de l’entreprise. L’audit interne est au service du progrès continu du groupe en évaluant, par une approche méthodologique, ses processus de management des risques, de contrôle et de gouvernance, et en faisant des recommandations pour renforcer leur efficacité. Les missions peuvent vous amener aussi bien du côté de l’Afrique que du Kazakhstan ou bien du Canada, l’entreprise étant présente sur quatre continents. Concernant les domaines d’audit, ils varient de la performance industrielle aux processus financiers, en passant par le suivi de la qualité ou des ressources humaines… Des missions d’audit aussi variées géographiquement que dans leur nature !
Même si nous recrutons majoritairement des jeunes avec 3 à 5 ans d’expérience, un jeune ingénieur qui sort d’école avec des expériences humaines et une certaine maturité peut très bien postuler. Je dirais à ces jeunes diplômés : « N’hésitez pas à faire des candidatures spontanées ! ». Personnellement, j’aimerais en recevoir beaucoup plus.