29 juillet 2020

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Face au risque financier, intégrer tous les processus de gestion de crise

Marie-Laure Vacherot est VP Chief Internal Audit d'Altran (Groupe Capgemini), en charge de l’audit, du contrôle interne et du risk management. Au-delà de la Covid-19, les entreprises sont confrontées à une « crise systémique », comme elle la définit, aux conséquences financières, opérationnelles et organisationnelles multiples. Crise rendue plus complexe à gérer en cas de dispositif de gestion de crise immature.
Pourriez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ? Marie-Laure Vacherot : J’ai passé deux tiers de ma carrière dans des fonctions d’audit interne, contrôle interne, management des risques et un tiers au sein de directions financières. J’ai exercé mes responsabilités essentiellement dans des groupes internationaux et fréquemment dans des contextes de transformation. Souvent missionnée pour accroître performance et maturité de ces fonctions, ma motivation est double : répondre aux attentes du Comité d’audit et être une business partner des managers pour une gouvernance optimale. Face à la crise de la Covid-19 à laquelle nous sommes confrontés, quelles mesures ont été prises au sein d’Altran Technologies ? M-L.V. : La direction a armé une cellule de crise pluridisciplinaire, identifié les parties prenantes internes et externes et élaboré des Business continuity plans, des périmètres opérationnels et fonctionnels critiques. Les priorités étaient la sécurité des collaborateurs et la poursuite des prestations de nos clients. Travaillant dans le secteur de la Recherche et de l’Innovation, il était clé d’honorer les contrats en cours et d’anticiper les besoins futurs. Et plus particulièrement côté audit interne ? M-L.V. : La direction comprend dix collaborateurs, trois en France et sept en Inde. L’équipe indienne audite essentiellement à distance et a été peu impactée. J’ai géré quatre sujets majeurs : les auditeurs affectés comme la plupart dans leur pratique professionnelle ; les audités focalisés sur la gestion des impacts pour leurs fonctions ; le plan d’audit et les demandes inopinées de la direction. La planification des missions a intégré les hypothèses successives de reprise. Les priorités ont été révisées selon leur contribution aux objectifs et l’évolution des risques. L’optimisation de la préparation « à distance » des missions et les capacités d’analyse de données seront déterminantes pour délivrer la contribution 2020 de l’audit. L’adaptation au contexte du confinement a été facilitée par le management « à distance » habituel des auditeurs indiens, la pratique du « home office » et l’expérience de crises.
Quels sont les éléments qu’il faut selon vous surtout ne pas oublier de prendre en compte face à une telle crise ? M-L.V. : Manager l’audit requiert de considérer les auditeurs, les besoins immédiats de l’entreprise et l’impact sur les objectifs. La durée nécessite d’établir un fonctionnement dédié et d’accepter parfois des aménagements inhabituels en audit. L’équipe est prioritaire ; au manager d’identifier collaborateurs déstabilisés ou leaders émergeants et d’ajuster communication et collaboration. S’adapter à une telle situation inédite exige opiniâtreté pour préserver motivation et progression des missions, et agilité pour s’adapter aux évolutions permanentes. Une crise peut exiger de mobiliser les auditeurs. Le DAI doit identifier des scénarii et valider ses arbitrages tout en préservant la maîtrise du risque d’audit. Après la crise, de nouveaux impacts (i.e. priorisation d’objectifs opérationnels, budgétaires) peuvent émerger ; potentiels freins à l’audit. Comment anticiper un tel événement, aussi difficilement prévisible ? M-L.V. : Quoique la survenance du déclencheur de la crise et son degré d’impact soient difficiles à établir, le risque de crise et un scénario d’ordre sanitaire sont à inscrire dans une cartographie de risques, afin d’as- surer d’en mitiger les effets avec un système approprié. La cartographie du forum de Davos intègre ce scénario. Au Risk Manager de s’appuyer sur les événements survenus et les experts renommés pour vaincre les réticences à investir dans un dispositif de gestion de crise mature et considérer un scénario improbable. Limiter impacts opérationnels et financiers des crises nécessite d’établir un dispositif actualisé et testé régulièrement et d’y décliner les scénarii critiques. Chaque nature de crise comporte des spécificités et la crise sanitaire a mobilisé des scénarii communs à d’autres et requis des mesures propres telles que le doublement d’équipes clés.
Et concernant l’impact financier ? M-L.V. : Il diffère selon les secteurs d’activité, cycles de production et l’internationalisation. Il dépend aussi de l’organisation et de sa capacité de résilience et résultera notamment des coûts durant la crise puis des investissements et durée de retour à la pleine activité. Peut-on imaginer les changements que cela va impliquer pour le management du risque comme pour les plans d’au- dit ? M-L.V. : Les objectifs et les attentes envers le risk management, l’audit et le contrôle internes seront impactés à court et moyen termes. En 2020, les conséquences sont essentiellement liées aux modalités de gestion de la période de crise et des plans de sortie. À court terme, les Risk managers actualiseront les cartographies de risques selon scenarii de reprise et évolution des stratégies. Il conviendra également de renforcer les dispositifs de crise apparus défaillants. Le contrôle interne ajustera sa contribution à la maîtrise des nouveaux risques suite à l’aménagement des processus ; les fraudeurs internes et externes demeurant actifs. Les DAI ont réévalué leur capacité et besoin d’audit à distance, révisent les plans d’audit 2020, priorisent les missions et adaptent le management. Les plans 2021 intégreront les ajustements stratégiques, le report de missions et les nouveaux enjeux. Le budget devra refléter les objectifs renforcés d’analyse de données et d’audit à distance, en terme de compétences et outils.
Léonard de Vinci a dit « Qui ne prépare pas l’avenir, se prépare à gémir » ; je souhaite que managers des risques, contrôle interne et d’audit poursuivent leur collaboration intensifiée ces derniers mois, renforcent leur synergie et mutualisent leurs outils pour accroitre maîtrise et valeur ajoutée.