
22 octobre 2018
Lecture 5 mn
Capitalisme responsable : l'auditeur, rouage central d'une dynamique vertueuse
Il serait anachronique d’opposer progrès de l’entreprise et développement durable dans l’histoire du capitalisme. Car désormais, l’un ne se construit pas sans l’autre. Conscient de la finitude du monde et de ses richesses, lucide sur sa responsabilité sociale et environnementale, soumis à la pression d’une opinion publique de plus en plus engagée (et toujours mieux informée !), le monde de l’entreprise est entré sur la voie d’une transformation radicale de ses modèles économiques.
Un état de fait que confirme Nathalie Voisine, Directrice opérationnelle de Capitalcom, qui observe et accompagne depuis dix ans les entreprises dans leur adaptation aux nouvelles conditions de business : « La capacité à pouvoir conduire sa transformation constitue l’enjeu majeur de l’entreprise actuellement. Nous allons assister à une vraie modification du paysage économique dans les années à venir. »
Rôle des entreprises : vers un changement de paradigme
Si l’idée de développement durable et celle de protection de l’environnement remontent bien avant les années 1990, une date et un événement s’imposent pour marquer les débuts d’une prise de conscience qui n’a cessé de s’affirmer et de s’amplifier par la suite : juin 1992 et la Conférence de Rio (ou Sommet de la Terre) où 178 pays adoptent le texte fondateur « Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement » qui précise autour de 27 principes, la notion de développement durable. « Durant dix ans, l’approche va rester essentiellement défensive : l’entreprise répare les dommages qu’elle commet ou compense son impact environnemental par des actions ponctuelles et ciblées. À partir des années 2000, on passe à une démarche pro-active voire stratégique. Des théoriciens comme Michael Porter* montrent que la RSE ouvre un nouveau champ économique que l’entreprise doit investir. Elle crée des opportunités pour les activités. Elle devient source de création de valeur. » D’une approche par les risques, l’entreprise évolue alors vers une approche plus équilibrée : on passe de la contrainte (respect des normes, mise en conformité des process) à l’intégration des enjeux de la performance environnementale dans la culture de l’entreprise et dans sa stratégie. « Aujourd’hui on va encore plus loin avec l’idée de RSE politique. C’est-à-dire la réinvention du modèle même de l’entreprise, de ses statuts jusqu’à sa raison d’être.
Le projet de loi Pacte prévoit d’inscrire une disposition selon laquelle l’objet social de l’entreprise ne se limite pas à la recherche du profit, mais qu’elle a aussi un rôle social et environnemental à jouer. » Si nous assistons à un changement de paradigme du rôle de l’entreprise et si celui-ci est formalisé par la loi, c’est sous la pression de l’opinion publique qu’il se réalise. Selon un sondage** réalisé par l’Observatoire de la Matérialité en janvier 2018, 81% des personnes interrogées estiment que la finalité d’une entreprise, en dehors de son rôle économique, est de générer des retombées positives pour l’ensemble de ses parties prenantes. L’entreprise doit donc se réformer pour générer de la croissance tout en épousant les changements des mentalités et, par là même, devenir actrice de la mutation de la société.
Les auditeurs au coeur de la transformation
L’attente est forte. Notamment du côté des millenials qui accordent une grande importance aux valeurs portées par les entreprises et à l’image qu’elles renvoient. « Le développement durable créé aussi de la valeur immatérielle. Elle forge l’image de marque, elle assoit la réputation, elle assure la cohésion en interne des collaborateurs. Et une entreprise responsable a une réelle capacité d’attraction des jeunes talents. » L’entreprise doit non seulement informer sur sa démarche et ses engagements, mais aussi prouver la réalité de ses actions en communiquant des résultats.
Cet impératif se conjugue avec les obligations croissantes de reporting, imposées par le législateur. « Avec la loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques) en 2001, puis les lois Grenelle I et II (2009 - 2010), les auditeurs ont déjà connu une évolution de leurs activités avec le traitement de données qui ne possèdent ni le même historique, ni la même solidité méthodologique que les indicateurs financiers. Et les nouvelles lois renforcent encore les obligations et les besoins de reporting. » L’article 173 de la loi Transition énergétique (2015) demande, ainsi, aux investisseurs institutionnels de communiquer sur l’empreinte environnementale de leur portefeuille. Un véritable bouleversement : pour pouvoir rendre compte, les investisseurs doivent connaître en profondeur les performances des entreprises qui composent leur portefeuille et les inciter à adopter des comportements vertueux.
Adoptée en août 2017 et applicable à compter du 1er septembre 2017, une nouvelle directive introduit la déclaration de performance extra-financière en remplacement du rapport RSE. Désormais, l’approche se fait par la « matérialité » : chaque grande entreprise concernée*** devra définir les risques les plus significatifs pour elle, expliquer les politiques mises en place et présenter les résultats avec des indicateurs clés. « Les auditeurs vont avoir un rôle à jouer dans le rapprochement des filières de reporting financier et extra-financier pour réaliser un reporting plus intégré. Au final, cela donnera une vision plus équilibrée de la performance. » Cette disposition va donc permettre aux auditeurs d’étendre le champ de leurs interlocuteurs, de décloisonner l’audit financier et extra-financier. En accompagnant la mise en place de ce reporting intégré, l’auditeur apparaît comme un vecteur de transformation essentiel au sein de l’entreprise.
[caption id="attachment_1633" align="alignnone" width="647"]