09 avril 2019

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Blockchain : un véritable big bang technologique ?

Fonctionnant sans organe de contrôle, la technologie blockchain permet de transférer de la valeur de pair à pair de manière transparente et avec un haut niveau de sécurité. Développée pour la création du Bitcoin, première crypto-monnaie, la blockchain connaît (et va connaitre) d’autres applications. Directeur général de Blockchain Partner, Alexandre Stachtchenko est l’un des pionniers français de cette nouvelle technologie. Tout le monde parle de la blockchain comme la prochaine innovation majeure… Sans vraiment comprendre en quoi cette technologie est révolutionnaire. Est-ce d’ailleurs une révolution ? Alexandre Stachtchenko : Le terme blockchain apparait vers 2013 alors que la technologie est plus ancienne. Pour la comprendre, il faut remonter à 2008 et à la gigantesque crise financière qui provoque une certaine défiance vis-à-vis des banques. On s’interroge alors sur la manière de se passer d’elles, de s’émanciper de leur rôle d’intermédiaire obligatoire pour effectuer des transactions. C’est dans ce contexte que Satoshi Nakamoto (on ne sait toujours pas qui se cache derrière ce pseudonyme) créé le Bitcoin en 2009, une monnaie numérique qui peut être échangée de pair à pair, sans passer par un tiers de confiance : les transactions ne sont plus enregistrées par un organe central (une banque par exemple) mais par chaque membre de la communauté Bitcoin. Toutes les transactions sont inscrites sur les ordinateurs personnels des membres, dans des registres décentralisés. Les faits sont répertoriés dans ces blocs de manière irrévocable et l’ensemble des blocs forment une chaine : d’où le terme blockchain qui fait son apparition seulement en 2013 quand on se rend compte que ce système peut être utilisé pour d’autres valeurs que le Bitcoin (des actions, des titres, des points de fidélité…). En quoi est-ce une technologie de rupture ? A.S. : Les échanges sur internet s’appuient sur la duplication de contenu : quand vous envoyez une pièce jointe par mail, vous émettez simplement une copie. La structure même d’Internet ne permet donc pas de transférer de la valeur sans passer par ce fameux tiers de confiance : la banque. Dans les pays développés avec un système bancaire solide et puissant, le Bitcoin n’a pas une grande utilité pour les particuliers. En revanche, dans des pays comme le Zimbabwe, le Kenya, le Nigeria, certaines régions d’Asie du Sud-Est et d’Amérique Latine, où moins de 30% des gens ont accès aux banques, les crypto-monnaies apparaissent comme une solution d’avenir pour du financement. Aujourd’hui, la blockckchain ne concerne pas que les crypto-actifs… A.S. : Oui, mais on ne peut alors pas parler de rupture technologique : la création et l’échange pair à pair de crypto-actifs, permis par la blockchain, constituent la grande révolution. Sinon, actuellement et dans ses autres domaines d’utilisation, la blockchain peut être considérée comme une technologie supplémentaire d’optimisation des systèmes d’information.
« Une technologie supplémentaire d’optimisation des systèmes d’information »
Des exemples d’optimisation ? A.S. : Dans le domaine de la certification des documents. Depuis 20 ans, on sait identifier un document (pdf, image, formulaire…) en lui adjoignant une empreinte digitale unique, une preuve d’intégrité. Mais pour le stockage et la diffusion, le recours à un tiers de confiance entraîne des coûts, des risques de sécurité (falsification, attaque de hacker) et des lenteurs de traitement pour la transmission des documents. Grâce à la blockchain, en intégrant le document dans un registre commun, on élimine ces trois freins. L’unicité du document « certifié par la technologie blockchain » est prouvée et il est accessible instantanément et automatiquement. Sur ce sujet, nous venons d‘achever une expérimentation très prometteuse avec l’État de Genève en proposant aux usagers de télécharger des extraits du registre du commerce certifiés blockchain. Autre application possible de la blockchain : la traçabilité. On peut responsabiliser par exemple tous les acteurs d’une supply chain en inscrivant dans un registre commun, hébergé sur chaque ordinateur des membres de la chaîne, l’ensemble des mouvements d’un produit : en cas de litige (retard, perte d’un produit…), ce registre fait office de référence unique et inattaquable. Blockchain publique, blockchain privée : quelle est la différence ? A.S. : Pour schématiser, la même qu’entre internet et intranet. Les blockchain publiques concernent essentiellement les crypto-actifs : elles sont très sécurisées du fait du grand nombre de serveurs dans la chaîne. Les privées, plus simples à mettre en oeuvre, permettent d’instaurer la confiance dans un groupe ou entre partenaires. C’est l’exemple de la supply chain que j’ai déjà citée. Quelles sont les limites de la blockchain ? A.S. : Pour les blockchains publiques, les limites sont d’abord liées à la nature des crypto-monnaies. On ne sait pas les définir (est-ce une monnaie, une ressource comparable à un métal précieux, une valeur mobilière ?), ni les taxer, ni les contrôler… Régulateurs et législateurs restent dans l’expectative. Une autre difficulté concerne l’expérience utilisateur : cette technologie repose sur la responsabilité individuelle. Elle exige de chacun de s’impliquer personnellement (si vous perdez le mot de passe de votre portefeuille Bitcoin, vous perdez tout). Ceci va à l’encontre des usages actuels guidés par la simplicité. Enfin, cette technologie, peu mature, ne sait pas encore gérer les gros volumes de transactions. Par exemple, au niveau mondial, Bitcoin réalise 7 transactions par seconde contre 20 000 pour Visa. D’un autre côté, vous pouvez effectuer une transaction d’une valeur de 50 milliards d’euros en Bitcoin en quelques minutes seulement et elle ne vous coûtera que quelques centimes !
« L’auditeur capable de proposer des services adaptés aura une longueur d’avance »
Qu’est ce que la blockchain peut apporter au métier d’auditeur ? A.S. : Dans le cadre des blockchains privées, l’information est certifiée, elle est mieux maîtrisée. L’auditeur a une vue réelle et juste des transferts de valeurs. Donc il y a amélioration du métier. Mais le véritable enjeu est ailleurs et concerne la façon dont l’auditeur va s’approprier et se créer un nouveau métier autour des crypto-actifs. Comment auditer une transaction Bitcoin ? Comment fournir un service de certification sur une blockchain publique ? Comment analyser un registre d’actionnaires tenu sur une blockchain ? Si les crypto- actifs se démocratisent dans le monde financier, l’auditeur capable de proposer des services adaptés aura une longueur d’avance. C’est là qu’il doit focaliser son attention aujourd’hui. Alexandre Stachtchenko Directeur Général deBLOCKCHAIN PARTNER