29 mars 2021

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L'audit ou l'art de la simplexité

On insiste souvent sur la dimension curative de l’audit… et si sa première vertu était plutôt de nous donner une bonne compréhension de la situation ? En effet, l’état des lieux dressé par les auditeurs peut n’apparaître que comme une étape de la mission d’audit, alors qu’il est déjà en soi une valeur ajoutée. Cette faculté de donner une meilleure lisibilité d’une situation souvent difficile à déchiffrer est bel et bien un atout… Pour ne pas dire un art, celui de la « simplexité ».

1/ La simplexité : de quoi parle-t-on ?

La simplexité est un concept attribué à Alain Berthoz qui lui a d’ailleurs consacré un ouvrage[1]. Issue de la contraction entre les mots « simplicité » et « complexité », la simplexité incarne l’art de rendre simples, lisibles et compréhensibles les choses complexes[]. Elle trouve ainsi de nombreux champs d’application, notamment en ingénierie, marketing, neurosciences mais aussi dans le design.

Tout comme "complexe" et "compliqué" n’ont pas la même signification, il ne faut pas confondre "simplexe" et "simple". Ainsi, la simplexité consiste à rendre simple un sujet complexe tout en restituant la subtilité et les contrastes qui le caractérisent.

La simplexité permet d’aboutir à une « complexité déchiffrable, car fondée sur une riche combinaison de règles simples ». En pratique, il s’agit de passer par une phase de déconstruction de la complexité pour pouvoir ensuite l’expliquer de manière plus abordable. Un exercice auquel les auditeurs internes sont rôdés.

2/ L’audit interne et la simplexité

Une mission d’audit interne se déroule souvent dans un environnement d’autant plus complexe qu’il n’est pas stabilisé. En effet, l’action de l’auditeur s’inscrit fréquemment dans le cadre d’une manœuvre de transformation ce qui rend le domaine audité difficile à modéliser. Or, la bonne compréhension du système audité revêt un enjeu majeur et conditionne la qualité des travaux. C’est pourquoi la phase de prise de connaissance constitue une étape critique de la démarche d’audit.

Toutefois, les auditeurs le savent bien, il ne suffit pas de se nourrir d’une série de notes de service et de plusieurs gigas de données pour comprendre une organisation. Cette somme de documents rend plutôt compte de la complexité d’une entité et des zones d’ambiguïté qui la traversent. Au terme d’un effort d’exploitation de ces documents épars, l’audit produit de la connaissance. Il procède à une mise en cohérence de l’ensemble de ces données tout en offrant une prise de recul. Sans trahir la complexité du domaine audité, l’audit en propose une meilleure compréhension, mettant en évidence les enjeux. Il permet ainsi de conjuguer l’exigence de précision grâce à une méthode d’objectivation robuste, avec le besoin de lisibilité, par une représentation clarifiée de l’organisation examinée.  En ce sens, l’audit est un vecteur de simplexité.

Ce qui est regrettable, c’est que cette dimension de l’audit ne soit pas suffisamment valorisée. Il y a une forte attente sur les recommandations alors que toute l’analyse qui les sous-tend constitue de la connaissance et revêt un intérêt. Il faudrait ainsi davantage capitaliser sur la simplexité dans un monde qui va vers toujours plus de complexité.

3/ La simplexité : une approche à cultiver

Il y a un véritable enjeu à produire des rapports d’audit qui s’inscrivent dans une logique de simplexité pour servir l’aide à la décision. Concrètement, cela passe par le format du rapport d’audit : comment restituer l’information de manière claire, synthétique mais sans approximation ? Dans l’approche de la simplexité, l’idée serait d’exposer la transparence du raisonnement dans un rapport rédigé avec une mise en perspective des données par des illustrations. La représentation visuelle de l’information notamment par le biais de l’infographisme gagnerait à être davantage développée et exploitée des auditeurs.

De même, il ne faudrait pas hésiter à utiliser les mindmaps ou cartes mentales, outil de simplexité par excellence, pour décrire un système complexe : « Les cartes heuristiques sont analytiques au sens où elles peuvent résoudre n'importe quel problème. Grâce à la logique des associations, les cartes mentales plongent directement au cœur du sujet. Elles permettent une vue d'ensemble de l'image. Elles sont à la fois un microcosme et un macrocosme. »[2]  Pour ne citer qu’eux, Léonard De Vinci et Albert Einstein, ont fait de la visualisation globale un véritable outil pour formaliser leurs savoirs mais aussi pour stimuler leur imagination.

Dans le domaine de l’audit, une mindmap peut par exemple servir à donner une interprétation visuelle de l’opinion d’audit ; elle s’avère également pertinente pour décrire le domaine audité, en organisant l’information de manière plus percutante qu’un paragraphe descriptif.

Ainsi, cet effort de représentation visuelle n’est pas que cosmétique : il répond à un véritable enjeu de compréhension et d’appropriation de la connaissance à une époque où les décideurs ont de moins en moins de temps pour apprécier une situation dans toute sa complexité.

Prenons conscience en tant qu’auditeurs internes, que notre valeur ajoutée ne se limite pas à formuler des recommandations efficaces : tout dans le contexte actuel pointe une qualité essentielle de notre métier, à savoir notre capacité à dissiper le brouillard et la confusion.

 

Lieutenant-colonel Anne de Luca

Auditeur interne à l’état-major des armées

Chercheur associé au centre Thucydide (Panthéon-Assas)

[1] Alain Berthoz, La simplexité, Paris, éd. Odile Jacob, 2009.

[2] Tony Buzan, Développez votre intelligence avec le Mind Mapping, Paris, éd. Alisio, 2018.