04 avril 2019

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Accroître la valeur ajoutée d'une mission grâce à un cadrage rigoureux

Les auditeurs sont habitués à rédiger, au début de leurs missions, un document de cadrage. Il mentionne généralement les objectifs de la mission, son périmètre, son calendrier et le nom des intervenants. Mais les auditeurs déplorent parfois que le cadrage proposé se révèle inadapté pour interagir de manière efficace avec leurs parties prenantes clés, compte tenu des enjeux de leur mission.

Qu’est ce que le cadre ?

Le cadre, c’est l’ensemble des éléments, posés en amont d’une mission, d’un projet, ou d’une réunion, et qui vont conditionner «l’état d’esprit » des parties prenantes, leurs anticipations, leurs réactions et leurs dynamiques clés d’interaction. Définir le cadre d’une mission, c’est définir les éléments suivants :
  • la dénomination de la mission (audit projet, audit d’agilité, revue globale d’entité, audit de processus, mission conseil…)
  • les objectifs de la mission, et, le cas échéant, ses indicateurs de réussite
  • les parties prenantes : quels commanditaires, quel directeur de mission, superviseur, project leader, quels auditeurs/ consultants, quels interviewés aux différents phases d’entretiens, choisis comment et dans quel ordre …
  • les valeurs / la culture partagées par tout ou partie des parties prenantes
  • les rôles et responsabilités des différents participants
  • leurs droits et devoirs réciproques
  • les lois, règlements et normes à respecter dans la mise en œuvre de la mission (lois du pays, règlements intérieurs, normes de la profession ou du métier…)
  • les ressources allouées à la mission : effectifs et compétences (hard et soft) de l’équipe et de ses appuis, budget, documents et bases de données consultables, outils ...
  • le planning contractualisé de la mission
  • les lieux choisis pour les entretiens et les différentes réunions prévues
  • les « règles du jeu » que se donnent les participants entre eux (modalités de révision éventuelle des objectifs et/ou du périmètre en cours de route, organisation et modalités des restitutions, modalités de partage et de suivi des recommandations, modalités de régulation en cas de non suivi des recommandations, modalités d’évaluation de la mission et des auditeurs, droit éventuel pour les auditeurs d’interrompre la mission sous conditions …)

En quoi est-ce utile ?

Prenons quelques exemples qui témoignent de l’intérêt du choix judicieux de tel ou tel élément du cadre d’une mission. Dénomination de la mission : Imaginons une mission qui a pour objectif d’auditer les risques d’un grand projet, porté par une entité du groupe, en phase de démarrage du projet, en vue de recommander la mise en œuvre des actions nécessaires à la maîtrise de ces risques. Si la dénomination de la mission retenue est celle de « mission conseil », les procédures et règles du jeu à l’œuvre vont laisser une grande latitude au responsable de l’entité dans ses interactions avec l’équipe d’audit, et dans la mise en oeuvre, on non, des recommandations faites. Par ailleurs, les niveaux hiérarchiques supérieurs pourront se sentir moins responsabilisés dans le diagnostic et dans (l’appui à) la mise en oeuvre des actions préconisées. Si la mission est dénommée « audit projet » ou « audit d’entité », les auditeurs auront avec eux le poids des normes de la profession et des procédures en vigueur pour appuyer leurs choix de méthodes d’audit, leurs recommandations et le suivi de leur mise en œuvre. Règles spécifiques à une mission : Si un système audité est dans une logique de très fort contrôle, où affleure parfois la volonté de toute puissance, on peut s’attendre à ce qu’il déploie ses meilleures techniques relationnelles pour prendre le contrôle de la mission. Prévoir une clause de droit d’interruption de la mission permet de mettre une limite à l’activation de ces stratégies de prise de contrôle. Cette interruption peut apprendre au système à gérer autrement des interactions porteuses de remises en cause. Et cela peut contribuer à le rendre plus adaptable pour l’avenir et à diminuer ses risques. Règles de restitutions : à qui et dans quel ordre les faire ? Si un audit est mené sur une entité hautement stratégique pour le groupe, dirigée par un dirigeant expert, fondateur de l’entité, dans un contexte d’élévation des risques de ses activités et d’un regard plus attentif porté sur elle par la Direction Générale, il vaut mieux inverser l‘ordre habituel des restitutions. Après une première restitution au dirigeant de l’entité, il vaut mieux faire la restitution en CODIR DG ad hoc, dans lequel les liens d’appartenance du dirigeant seront visibles et actifs, pour lui comme pour ses interlocuteurs, avant de faire cette restitution en CODIR de l’entité, dans lequel les liens d’appartenance et de loyauté du dirigeant risquent de le mettre en alliance avec ses N-1 contre les conclusions de l’audit. De même, si les conclusions d’un audit d’entité montrent que la sous performance de l’entité tient à des comportements, au niveau exécution – maîtrise, hautement défensifs et non coopératifs, pour des raisons historiques, n’est il pas approprié de faire une restitution à l’ensemble des interviewés, même si c’est contraire à la procédure habituelle ? L’expérience a montré que oui, même si cela a pu demander beaucoup d’énergie et de grands efforts pédagogiques au directeur de mission vis-à-vis des commanditaires de la mission. Le cadre, parce qu’il préfigure des comportements et des dynamiques d’interactions entre les acteurs, et qu’il permet de les réguler si nécessaire, est un atout pour anticiper et déjouer des conflits et des blocages, pour favoriser une coopération autour des objectifs validés, et pour induire des comportements propices aux changements souhaités. Dialoguer et communiquer clairement sur le cadre améliore la prévisibilité du jeu des acteurs. En ce sens, il peut être réducteur d’incertitude, et donc facteur de sécurisation. Cela peut aider à alléger le poids des réactions émotionnelles et des comportements qui en résultent, sachant que les missions d’audit sont forcément chargées d’affects pour les audités comme pour les auditeurs.

A quelles conditions les auditeurs peuvent ils faire du cadre un outil de création de valeur ?

Elles sont au nombre de 5 :
  1. Mettre les différents éléments du cadre suffisamment en cohérence, en amont d’une mission.
  2. Ajuster « la bataille à mener » sur le cadre avec les parties prenantes, aux enjeux que représente la mission pour l’entreprise et pour la DAI.
  3. Disposer des compétences nécessaires pour décoder les enjeux systémiques et les dynamiques clés d’interaction entre les principaux acteurs, afin d’étayer les choix à opérer au niveau du cadre.
  4. Bénéficier d’un positionnement et d’une légitimité de l’audit interne suffisamment solides au sein de l’organisation.
  5. Faire preuve d’indépendance et de courage.

Conclusions

Toutefois, même si la Direction de l’Audit et ses auditeurs ne bénéficient pas toujours des marges de manœuvre suffisantes pour faire prévaloir le cadre le plus pertinent pour une mission donnée, il leur est possible de jouer sur quelques éléments du cadre qui restent à leur main (gréement de l’équipe, règles du jeu relationnelles …). Ils peuvent aussi toujours utiliser leurs compétences sur le cadre pour cadrer efficacement certaines séquences clés de leurs missions, certaines réunions à forts enjeux, notamment lors des phases de restitution et de clôture. Elisabeth Georges & Philippe Huet, DIS Développement