04 décembre 2015
Lecture 7 mn
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Le management des risques est-il l’ennemi de l’innovation ?
« Le simple calcul nous dissuaderait d’investir, si le goût du risque n’était pas inscrit dans la nature humaine » (John Maynard Keynes).
Bien que la notion de gestion des risques soit très ancienne[1] et initialement plutôt l’apanage des assureurs et des banquiers, elle occupe une place sans cesse croissante dans le vocabulaire managérial, politique et institutionnel. Cette incursion massive de la gestion du risque dans la société se traduit de plusieurs manières très concrètes. Tout d’abord, la fonction de « risk manager » connaît une croissance forte au sein des entreprises. Par ailleurs, de nombreux référentiels de gestion des risques ont émergé, comme en témoigne le tableau accessible à l’adresse suivante (liste non exhaustive): https://www.evernote.com/l/AEw82KmfusFDBrNOkCU1lU3n93ymXe4tnPM
D’un point de vue législatif et réglementaire, les notions de « risque » et de « gestion des risques » ont également connu des développements significatifs sur une relative courte période. Les principaux textes, particulièrement importants selon nous (dans le contexte français) sont accessibles à l’adresse suivante: https://www.evernote.com/l/AEzmPjMq7WFAIIT04mp0WPh6hSz5zKet1h4
La multiplication des textes et des référentiels, ainsi que la place significative qu’occupe actuellement le risque dans de nombreux débats[2] suscite depuis quelques années l’inquiétude de plusieurs entrepreneurs, économistes, scientifiques et politiques. On citera par exemple Jaques Attali, dans Perspectives Economiques, qui écrit que « les sociétés les plus riches ne veulent plus courir le moindre danger, ni pour traverser a rue, ni pour vendre un objet…c’est partout l’objectif risque-zéro[3] ». Le Sénat s’est également penché sur ce sujet avec force de détail en juillet 2012 au travers d’un rapport intitulé « l’innovation à l’épreuve des peurs et des risques[4] », qui affirme notamment (au sujet du principe de précaution), que « poussé à l'extrême, celui-ci requiert l'exigence de preuve de l'inexistence d'un danger, et donc de la connaissance totale et parfaite d'un produit, connaissance utopique et frein à l'innovation. ».
Certes, et comme le soulignent de nombreuses normes, le risque ne doit pas être envisagé que sous le prisme du « danger ». S’il est parfois fait référence aux opportunités lorsque la notion de risque est évoquée, il faut reconnaître toutefois que cette connotation positive reste très marginale dans son usage courant. Ainsi des voix commencent à s’élever pour dénoncer une société qui deviendrait « trop averse » à la prise de risques[5], arguant qu’une telle évolution restreint la capacité d’innovation ou au mieux la ralentit.
Avant de poursuivre notre réflexion, il est ici important de revenir sur une distinction fondamentale : celle qui distingue le « risque » de « l’incertitude ». La Documentation française[6] précise en effet que « les agents se trouvent en situation d’incertitude lorsqu’ils ignorent ce que sera leur environnement dans un avenir proche ou lointain. Knight et Keynes distinguent le risque, situation pour laquelle on peut dresser la liste de toutes les éventualités et leur attribuer une probabilité de réalisation et l’incertitude, situation pour laquelle l’une ou l’autre de ces deux conditions n’est pas vérifiée. » Cette distinction est capitale car la majorité des débats contemporains relatifs à la gestion de l’impact négatif d’évènements futurs sur la capacité d’innovation se focalisent sur le principe de précaution, dont l’objet est la gestion de l’incertitude et non la gestion des risques.
Il est vrai que la gestion des risques (la gestion d’événements dont on est capable d’évaluer la probabilité et l’impact) peut parfois être sources de dérives contre-productives, appréciées principalement via le prisme d’un rapport coût/bénéfice défavorable. Ceci est particulièrement vrai pour les risques qui :
- i) touchent à la sécurité physique des individus[7],
- ii) peuvent avoir une dimension politique importante (ex : risque terroriste, risque épidémique),
- iii) attirent l’intérêt des médias (ex : les noyades de l’été 2013[8]),
- iv) sont « manufacturés » (c’est à dire issues de l’activité humaine) et peu « contrôlables » par les personnes qui y sont exposées (ex : le risque nucléaire, les OGM, les accidents d’avion...)