22 mai 2018
Lecture 7 mn
Interview du fondateur d'Estimeo par le groupe professionnel Audit & Innovation
Alice Boisson et Qadir Abdul du Groupe Audit et Innovation sont allés à la rencontre de Florian Bercault, un des fondateurs d’Estimeo une plateforme de notation de start-up. Leur algorithme de notation cherche à évaluer le potentiel de succès du développement de la start-up et évaluer le potentiel de succès de levée de fonds. Nous avons voulu en savoir plus sur cette solution et savoir comment la gestion des risques est prise en compte dans le modèle. Nous espérons que cet article vous éclairera sur la façon dont le risque est géré dans l'écosystème des start-ups. Si vous voulez en savoir plus sur l’outil vous pouvez consulter les articles référencés en bas de page.
Bonjour Florian, merci de nous recevoir dans vos locaux au sein de l’incubateur IONIS 361. Pouvez-vous nous dire d’où est venue l’idée d’Estiméo ?
Nous voulons faire entrer le monde de la notation dans le 21ème siècle en utilisant la data, les données financières et le pilier du numérique pour accélérer cette transformation. L’idée d’Estimeo est de créer un standard pour évaluer la capacité d’innovation et la création de valeur des start-ups. Notre rôle est d’apporter de l’information, fiable, accessible, un peu low cost et utile. Nous voulons jouer le rôle d’un tiers de confiance pour apprécier le risque et l’expliquer. Estimeo est une plateforme de notation plutôt qu’une agence de notation, car nous avons pour vocation d’être numérique. Nous croyons à la plateformisation de l’information, de la notation et de l’investissement.
Maintenant parlons de votre modèle plus en détail, comment est-il construit ?
Nous avons développé une méthodologie de notation d’abord pour les start-ups, en particulier pour les start-up ayant entre zéro et trois ans, qu'on appelle aussi “early stage”, là où il est le plus difficile de faire une évaluation. Nous sommes partis du principe qu’il y a peut-être une science de l’investissement et chercher à définir comment rationaliser davantage les décisions d’investissement dans ce type de projets. La Silicon Valley existe depuis 70 ans, nous avons donc cherché à comprendre quelles sont les bonnes pratiques, les forces, les échecs des start-up qui ont réussi, utiliser les analyses faites sur la bulle internet des années 2000 pour tirer les leçons du passé pour imaginer le futur. Cette partie statistique, où sont prises en compte les études académiques sur le sujet, les chiffres qui en ressortent ou les données financières historiques, est l’un des deux piliers de nos algorithmes de notation. Demain notre enjeu est de créer une base de données extra financières. Notre questionnaire de notation est composé à 80% d’information extra financières.
L’autre pilier de nos algorithmes est l’effectuation. Nous avons analysé les parcours des entrepreneurs à succès: comment ils ont réussi, les étapes clés, les questions clés qu’ils se sont posées. La grande majorité des entrepreneurs se posent les mêmes questions quand ils passent d’inventeurs à innovateurs, c’est à dire quand il rencontre un marché. Par exemple: est-ce que j’ai trouvé un marché, comment je protège mon innovation, est-ce que quelqu’un a intérêt à tuer mon innovation, par exemple est-ce que les GAFA ont intérêt à me tuer vite, etc.
Nous ne connaissons pas encore toutes les corrélations entre ces données, c’est avec le temps et plus de données que notre algorithme s’améliorera.
C’est en effet le principe de ce type d’algorithme. L’autre enjeu sur les algorithmes, ce sont les biais qu’ils peuvent avoir, comment adressez-vous cela ?
Tous les algorithmes ont des biais comme tout humain qui va analyser des données. Notre algorithme de notation est paramétré et possède deux biais finalement puisque nous cherchons à évaluer le potentiel de succès du développement de la start-up et évaluer le potentiel de succès de levée de fonds. Nous avons clairement un tropisme vers l’investisseur, notre algorithme a été conçu pour le capital-risque et plutôt pour des entreprises qui ont de zéro à trois ou quatre ans. Nous n’évaluons pas directement la capacité d’innovation.
Quand on crée des outils algorithmiques il s’agit de trouver un équilibre entre données et connaissances. La donnée au début est en quantité limitée et nous partons donc avec beaucoup d’hypothèses issues de la connaissance. Nous assumons ces biais cognitifs puisque nous cherchons à proposer un standard par rapport auquel se positionner.
Pour la partie effectuation, comment avez-vous identifié et sélectionné les entrepreneurs à succès ?
L’échantillon était composé de 25 beta-testeurs, multi-secteurs avec des stades de maturité différent allant de zéro à 4 ans d'existence, plutôt français, et rencontrant des problématiques similaires. Nous les avons également questionnés sur le modèle économique de leurs entreprises. Nous avons aussi testé le questionnaire pour voir comment l’entrepreneur le comprenait selon son background. Mais nous ne voulons pas donner trop d'indications afin de ne pas orienter vers une réponse. Notre objectif est d’être le plus universel possible. Néanmoins nous assumons de ne pas tout évaluer, ce n’est pas une vue 360 mais un focus sur les deux biais dont nous avons parlé: capacité à lever des fonds et capacité de développement de la start-up.
Comment une start-up peut se faire référencer sur la plateforme d’Estimeo ?
La méthodologie est transparente, les critères et sous-critères d’évaluation sont donnés aux startuppers. C’est aussi un outil pédagogique pour aider à la préparation de sa stratégie et de sa levée de fonds. Après l’inscription sur la plateforme, le startupper accède au formulaire de notation autour de six piliers: Humain, Stratégie, Offre, Technique, Marché et Financier. A la suite du questionnaire il y a une note à laquelle est corrélé un indice de confiance basé sur le taux de complétude et les incohérences détectées par les algorithmes d’une question à l’autre. A la fin il y a un radar qui permet de se positionner par rapport à son secteur. Il est possible de partager sa notation avec ses investisseurs et d’échanger par messagerie. Nous avons recensé 200 investisseurs de 3 types: les fonds early stage, les plateformes permettant de lever des fonds grâce au financement participatif, qu’on appelle aussi le crowdequity et les réseaux de Business Angels pour connaître leurs cibles: secteur, localisation, montants investis. Nous invitons aussi les investisseurs particuliers à s’inscrire sur la plateforme. Cela permet de proposer via un outil de matching quatre investisseurs potentiels à la fin du questionnaire de notation. La start-up pourra aussi mettre à jour ses données et sa notation au fil de son évolution.
Quelle est l’information que reçoivent les investisseurs sur les start-ups ?
Une fois les questionnaires de notation remplis par les différentes personnes de l’équipe, nous produisons le support de présentation synthétisé, le pitch deck, et nous objectivons ainsi la donnée fournie par la start-up. L’investisseur reçoit toujours des business plans formidables et parfois difficiles à évaluer. L’investisseur le traduit ensuite en fiche d’investissement qui est présenté à un comité d’investissement qui sur cette base décide de rencontrer ou pas la start-up, puis de la suivre et enfin d’investir ou pas. Ce processus est assez classique. La force de notre solution c’est que nous synthétisons les réponses des différentes personnes de l’équipe et de montrer par exemple qu’au global il manque peut-être certaines compétences. Cela permet aussi de voir l’auto-évaluation de l’offre par rapport aux prix, à la concurrence qui fait ressortir facilement les forces et les faiblesses.
Pouvez-vous nous dire comment vous avez défini ces six piliers et s’ils sont pondérés dans la notation ?
Sur la base des études académiques sur comment les Business Angels raisonnent, quelles sont les questions que les investisseurs posent, également sur la base de témoignages d’investisseurs que nous avons rencontrés lorsque nous construisions notre modèle. Il y a une pondération et c’est là où nous avons apporté de la connaissance: plus la start-up est jeune plus nous allons donner de poids aux aspects extra financiers et humains, plus nous avançons dans le temps et que des éléments financiers deviennent disponibles, plus ils vont prendre de l’importance.
Comment intégrez-vous l'évaluation de la gestion des risques dans votre modèle ?
Catherine Véret-Jost ex Directrice des Risques Opérationnels du Crédit Mutuel CIC nous a accompagné lors de la conception de la méthodologie. Un des fondamentaux utilisé dans notre modèle est la cyndinique, la science des dangers, pensée notamment par Kerven. L’hyperespace du danger qui cartographie les risques avec différents axes: les règles, l’éthique, les valeurs, les modèles, les données et la finalité, l’objectif. Les termes sont plus techniques mais cela permet d’avoir une vue globale. Les 6 piliers de notre modèle s’inspire de ce canevas.
Dans le questionnaire il y a également des questions relatives à certains risques: est-ce que vous êtes assurés, quel type d’assurance, est-ce que vous gérez des données personnelles, avez-vous fait les démarches administratives requises etc.? Ce sont finalement des questions sur la maturité et la connaissance de l’existence de ses sujets. Ce n’est pas parce que l’entreprise est jeune qu’il ne faut pas identifier ces risques.
En tant que start-up, nous sommes très entourés, nos meilleurs amis sont les avocats et les experts comptables. Nous avons aussi des personnes qui nous conseillent, des mentors, des incubateurs, mais aussi les assureurs. Une start-up est en risque permanent, sur le modèle économique qu’il faut prouver et ajuster en fonction du marché. Notre notation cherche à gérer l’incertitude et diminuer la probabilité d’échec de la start-up; tout le fondement de nos algorithmes est d’identifier le risque sauf que l’on parle d'opportunité car le mot risque est mal perçu.
Pour en savoir plus sur Estimeo:
Autres articles sur Estimeo et leur solution:
BFM Business, "Start-up & Co: Estimeo, l'agence de notation de start-up "
Boursorama, "Estimeo : un site pour noter les startup"
Maddyness, "Estimeo lève 105 000 euros pour développer son algorithme de notation des startups"
Alice Boisson a une double compétence audit et innovation. |
Qadir ABDUL, dispose de compétences en audit, asset management, systèmes d'information et gestion de la relation client.
Ayant passé une grande partie de sa carrière au sein du Groupe Ag2r La Mondiale, il a notamment mis en place le dispositif de maîtrise des risques opérationnels au sein de la filiale de la gestion financière. Il a ensuite rejoint l'équipe d'audit interne, où il a été en charge plus particulièrement des missions d'audit sur le domaine de la finance et des systèmes d'information. Il a également contribué à la certification IFACI du service de l'audit interne.
Il occupe actuellement le poste de responsable de l'audit interne au sein du groupe de protection sociale B2V.
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