26 novembre 2021
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5 questions à Régis de Montardy, Directeur de la gestion des risques du groupe Sanofi
Pouvez-vous brièvement vous présenter à nos lecteurs ?
Régis de Montardy : Je suis un ingénieur système de formation. J'ai commencé ma carrière comme consultant, travaillant pour l'industrie pharmaceutique, et ensuite je suis rentré chez Sanofi. Toute ma première partie de carrière s'est déroulée dans le domaine de la qualité. Dans mon dernier poste avant de reprendre la gestion des risques, j’avais la charge de la stratégie et des systèmes qualité de la R&D à la fabrication, distribution et jusqu'à la commercialisation des produits. Ce qui m'a donné une vision très large de l'activité de l'entreprise, qui évolue dans un secteur pharmaceutique à la fois extrêmement innovant mais aussi le plus réglementé qui soit.
Cop26, devoir de vigilance, rapport du GIEC… Comment gérez-vous au quotidien les risques émergents ? D’ailleurs le sont-ils pour vous ?
R.de.M. : Pour Sanofi, la gestion des risques n'est pas quelque chose de nouveau. Nous avons mis en place il y a une dizaine d'années un dispositif de gestion de risques robuste. Et dans notre profil de risque nous avons, depuis l'origine, des risques qui sont bien connus, parce qu’ils ont déjà touché Sanofi ou des entreprises similaires. Le devoir de vigilance que vous citez n’est plus pour nous un risque émergent. Il fait partie de la problématique de la gestion des tiers. Il y a une réglementation, nous en connaissons bien les causes, les conséquences potentielles, nous avons des plans d'action qui sont en place et qui sont suivis.
Quand je suis arrivé dans ma fonction en 2017, la question a été posée : « Nous voyons bien les risques d’aujourd'hui, mais quels sont les risques de demain ? ». Avec mon équipe, nous avons développé un « radar des risques émergents » qui contient maintenant une vingtaine de risques. Il fait l'objet de conversations régulières avec le Comité Exécutif et avec le Conseil d'Administration. Pour identifier ces risques nous nous sommes basés sur les grandes tendances disruptives identifiées par le World Economic Forum de Davos : risques géopolitiques, sociétaux, technologiques, économiques, environnementaux… Nous classons les risques émergents en fonction de leur importance et aussi en fonction de la vélocité que l'on perçoit, c’est-à-dire le temps avant qu’ils puissent avoir un impact matériel sur Sanofi.
« Un risque émergent peut encore être transformé en opportunité »
Il faut bien savoir que les risques émergents sont beaucoup plus difficiles à caractériser que les risques actifs. En revanche, ils ont un gros avantage : ils peuvent représenter aussi bien des opportunités que des menaces. On doit se protéger des risques actifs. Un risque émergent peut encore être transformé en opportunité. Nous voulons anticiper et créer de la valeur, pas seulement éviter d’en perdre.
Dans ce radar, nous sélectionnons chaque année 1 à 3 risques émergents sur lesquels nous allons travailler avec les fonctions expertes et réaliser des scénarios d'impact sur l'entreprise.
En ce qui concerne plus particulièrement le changement climatique, pour nous ce n’est pas à proprement parler un risque, c'est plutôt une thématique dans laquelle nous allons retrouver un certain nombre de risques actifs. Par exemple, nous avons des engagements très clairs de réduction de l'empreinte environnementale de Sanofi, en ligne avec les Accords de Paris. Nous nous y sommes engagés, donc nous avons un risque d'exécution. Nous devons aussi nous protéger vis-à-vis des événements climatiques extrêmes, qui sont de plus en plus fréquents et sévères. La transition climatique est aussi associée à des risques émergents. Nous faisons des scénarios pour essayer de comprendre l’impact à long terme de la transition climatique sur notre modèle d'affaires et la résilience de notre stratégie. Je donne deux exemples pour notre secteur : comment vont évoluer les maladies transmises par des moustiques qui se répandent dans les pays du nord avec le réchauffement climatique ? Les migrations climatiques ne risquent-elles pas de surcharger les systèmes de santé et de changer les besoins ?
Notre but, avec ces scénarios, est de sensibiliser le management sur les impacts potentiels et discuter notamment du point de bascule, c’est-à-dire le moment où il faudra faire passer le risque en gestion active, ni trop tôt ni trop tard. Trop tôt, nous risquons d’investir pour rien dans un risque qui ne va peut-être jamais se matérialiser et nous allons perdre en crédibilité. Trop tard, nous allons peut-être nous protéger, mais ne pas saisir d’opportunités.
« Il est possible de faire d’un risque émergent un avantage compétitif »
Diriez-vous qu’à chaque risque correspond une opportunité ?
R.de.M. :: Pratiquement, oui. En tous cas pour un risque émergent. Si dès le départ je l’intègre dans ma stratégie, je peux en faire un argument de résilience vis-à-vis des parties prenantes. Il est possible de faire d’un risque émergent un avantage compétitif. Je vais mieux gérer l’impact sur l’activité, la stratégie, l’image et la réputation de l’entreprise, en anticipant sur les futurs besoins. Et ça, c’est de la valeur à long terme pour l’entreprise.
Peut-on parler d’une culture du risque chez Sanofi ? Comment est-elle gérée, pilotée ?
R.de.M. : Pour moi, toutes les entreprises ont une culture du risque, plus ou moins adaptée à la stratégie et aux objectifs. Parler de culture du risque, c’est parler de comportements que l’on peut observer au sein même de l’entreprise : est-ce que les risques sont bien identifiés et remontés ? Est-ce que l’on partage entre collègues de notre perception du risque ? Est-ce que nous les prenons en compte lorsque nous prenons une décision ? Et aussi, est-ce que l’on apprend des prises de risques passées ?
Dans le secteur pharmaceutique, nous touchons directement à la vie et à la santé. C’est un secteur particulièrement règlementé et la culture du risque y est bien développée. En tant que grande entreprise multinationale, nous sommes particulièrement conscients de nos responsabilités vis-à-vis des patients, des personnels de santé et de l’ensemble de la société.
En revanche, il faut aussi reconnaître que le monde change de plus en plus rapidement, qu’il est de plus en plus incertain et qu’il fait face à des défis sans précédent. Pour y répondre et apporter de la valeur, il nous faut innover plus que jamais et aussi travailler avec de nouveaux acteurs. On parle beaucoup des partenariats entre les grandes sociétés pharmaceutiques et les petites sociétés biotech, par exemple. Ce qui veut dire des prendre des risques, mais pas n'importe lesquels. Il faut prendre les risques qui vont nous permettre de mettre à disposition demain des vaccins et des médicaments innovants, répondant à des besoins réels de santé et en utilisant toute la puissance de la biotechnologie ou du numérique.
« Nous aidons les managers à mieux intégrer les risques dans la prise de décision »
J'en parle d'autant plus facilement que cette évolution s'intègre très bien dans celle de la culture du groupe en général. Notre directeur général Paul Hudson nous engage avec son comité exécutif dans une culture d'entreprenariat, d'agilité de décision. Alors, concrètement, comment peut-on faire évoluer une culture de risque ? D'abord il faut rester humble : on ne change pas les choses très rapidement et c'est un effort collectif, dans la durée. On s'appuie sur notre partenariat avec la stratégie et sur un réseau de coordinateurs qui sont déployés dans l'ensemble du groupe. Nous aidons les managers à mieux intégrer les risques dans la prise de décision. Nous leur proposons des ateliers de travail, des formations, des outils pour comprendre quels sont les biais qui impactent la prise de décision et les surmonter collectivement. La culture du risque est basée sur des valeurs simples, comme l'intégrité, le fait d'assumer nos responsabilités, la volonté d'apprendre, de progresser en continu, et - très important - le partage d'informations.
La crise du Covid a eu un impact bien particulier pour Sanofi. Comment se déroulaient les journées d’un directeur des risques pendant la crise ?
R.de.M. : En février 2020, il y avait déjà une crise qui était en cours de gestion, parce que Sanofi est implantée en Chine et donc nous voyions ce qui se passait. Lorsqu’il est devenu assez clair que la crise allait se répercuter ailleurs sur la planète, une équipe de gestion de crise globale et des équipes dédiées ont été mises en place dans tous les pays. Ces équipes ont géré l’urgence comme l'organisation des sites de production, qui tournaient à plein régime pour alimenter les stocks de médicaments de première nécessité. Il fallait aussi faire des études sur des traitements potentiels, trouver des solutions pour les stocks de masques, les matières premières, les relations avec les professions de santé, favoriser les traitements à domicile pour nos patients qui en ont absolument besoin. Tout cela, c'était le travail de l'équipe de crise.
A ce moment, nous nous sommes dit : « Quel va être le rôle de la gestion des risques ? ». Pour soutenir l'effort mais tout en gardant du recul, nous avons mis en place une Task Force stratégique. Nous avons rassemblé des représentants de toutes les directions de l’entreprise, et dès le mois de Mars nous avons établi des scénarios d'évolution de la pandémie. Nos quatre scénarios tenaient compte des incertitudes sur la progression de l’épidémie, la géopolitique (comme les mesures protectionnistes), l’impact sur l'économie mondiale et sur les systèmes de santé, l’apport des nouvelles technologies… Nous avons complété ces scénarios avec une analyse de risque par pays, parce qu’il y avait des pays plus vulnérables que d'autres face à la pandémie, moins préparés, avec une structure de population plus fragile et un système de santé pas forcément au niveau. Ces scénarios ont constitué un travail préliminaire qui a servi à identifier les risques et les opportunités spécifiques au Covid. Ils ont alimenté des projets stratégiques qui ont été lancés par la direction générale. Ils nous ont permis aussi de soutenir la planification financière en formulant des hypothèses de croissance économique dans les différentes régions. A la fin cela nous a aussi permis de réviser notre profil de risque entreprise pour nous adapter au monde post-pandémie.
« On voyait que notre travail était très utile, pour une fois de façon immédiate »
À titre personnel, j’ai été confronté à une énorme masse d'informations à traiter. J'ai mis en place une lettre d'information interne pour tenir informé l'ensemble de la Task Force, sélectionner les informations les plus fiables et travailler sur des bases relativement stables. Pour moi, cela a été une période très intense, mais aussi une période de grande satisfaction, parce que l’on voyait que notre travail était très utile, pour une fois de façon immédiate. Les informations que nous produisions aidaient l'entreprise à naviguer dans une zone d’incertitude très importante. C'est un enseignement pour l’avenir, car de plus en plus nous allons être dans cette espèce de « brouillard de guerre » où il faut que la fonction risques joue un rôle de co-pilote et dise quel est l'univers des possibles. Il faut éviter à la fois de s'enfermer dans une certitude rassurante ou au contraire être dans une posture fataliste. Car, dans les deux cas, cela ne pousse pas à l’action. Faire des scénarios, se poser les bonnes questions, permet de libérer l’entreprise pour la remettre en action.